janvier 19, 2016

Amazighité, anthropologie et cinéma

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Trois questions à… Lahoucine Bouyaakoubi, anthropologue
La région d’Agadir,  à l’instar d’autres régions du Ma
roc et de tamazgha, a célébré avec faste et allégresse, le nouvel an amazigh.  Plusieurs activités  sont venues animer les journées et les soirées de cette semaine mémorable. A Tiznit, il n’y avait pas seulement chants, danses et présentation du plus grand plat de «tagula» mais aussi des activités sociales et culturelles. Une rencontre internationale consacrée à la civilisation amazighe a été organisée à la maison de la culture avec la participation d’éminentes personnalités marocaines et internationales. Le maître d’œuvre et animateur de cette rencontre est le professeur Lahoucine Bouyaakoubi, anthropologue, enseignant à l’université d’Agadir. Il fait partie également de l’équipe qui a organisé la deuxième semaine de l’anthropologie (Agadir 13-15 janvier 2016). Nous l’avons rencontré pour nous parler de ces deux événements.
Dans le cadre des festivités célébrant Idh ynnayr (2966) tu as animé, à Tiznit une rencontre internationale sur la civilisation et la culture amazighes. Pourquoi le choix de ce thème et quels sont les grands axes qui ont été abordés ?
L’activité de Tiznit est organisée par l’association tairi n wakal, le 12 janvier 2016. Le thème choisi pour la conférence internationale était « la civilisation amazighe : histoire et architecture » avec la participation des historiens et d’architectes comme Paolo Odorico (EHESS-Paris), Mustapha Boudribila (Ibn Zohr-Agadir), Dolores Villalba Sola (Grenade-Espagne) et Salima Naji (Architecte Tiznit). Le choix de ce sujet, comme on le voit bien sur l’argumentaire, est dû à la volonté des organisateurs de s’interroger sur la notion de « civilisation amazighe », son histoire, ses composantes, ses monuments…et son rapport d’interculturel avec d’autres civilisations venues de l’Orient ou de l’Occident. Ce sujet tire son importance du fait que la langue amazighe est reconnue au Maroc depuis 2011 comme langue officielle de l’Etat. Mais l’amazighité ne se résume pas en la langue, même si elle constitue son noyau. Cela nécessite aussi la reconnaissance de l’existence d’une civilisation amazighe. Le débat était très riche par les quatre interventions. Pour Paolo Odorico, s’il reconnaît l’existence des Amazighs depuis longtemps, il attire l’attention sur leur absence dans les écrits historiques anciens. Un vrai paradoxe  historique. Ce qui nécessite d’autres recherches profondes et une relecture de l’histoire de l’Afrique du Nord pour donner aux Amazighe la place qu’ils méritent. De son côté, Mustapha Boudribila, affirme l’existence d’une civilisation amazighe et donna des éclaircissements sur les relations entre les Amazighes et les Pharaons. Pour Dolores Villalba, et à partir de quelques photos, elle a bien montré l’impacte de l’architecture amazighe de la période almohade sur l’architecture des monuments historiques de l’Andalousie. Tandis que Salima Naji, dans une communication avec des illustrations, elle a bien expliqué la richesse de l’architecture amazighe, l’importance de la préserver d’abord par la restauration des monuments existant mais aussi par son utilisation aujourd’hui dans toute politique d’urbanisation et aussi par la formation des jeunes dans ce domaine.
Tu es anthropologue de formation et tu enseignes cette discipline à la faculté des lettres d’Agadir. Quelles sont les motivations qui t’ont amenées à faire ce  choix académique et professionnelle ; et que pourrais-tu nous dire sur l’état des lieux de l’anthropologie dans le paysage universitaire marocain ?
Il faut reconnaitre qu’il y avait un peu de hasard dans ma rencontre avec l’anthropologie qui n’existait pas comme discipline dans nos universités quand j’étais étudiant. Après avoir eu ma licence en histoire à Agadir, je suis parti en France pour préparer un DEA dans la même discipline sous l’encadrement de Benjamin Stora à l’Université Paris 8. A ce moment là, je suivais aussi le séminaire de l’anthropologue Tassadit Yacine sur « les rapports de domination dans les sociétés berbères» à l’EHESS. C’était la première fois que j’entendais un discours anthropologique. Après l’obtention de mon DEA je me suis inscris en thèse à l’EHESS sous la direction de Tassadit Yacine et intitulée « images et représentation des Berbères du Maroc dans les sources coloniales française », que j’ai soutenue en 2012. Je n’ai pas oublié ma formation initiale en histoire et c’est pour cela mon approche s’inscrit dans « l’anthropologie historique ». De retour au Maroc j’enseigne l’anthropologie au département des études amazighes et au département de sociologie de l’Université Ibn Zohr.
Actuellement on assiste à un retour timide de l’anthropologie au sein des universités marocaines. Elle est enseignée comme matière dans d’autres départements car il n’existe pas encore de département d’anthropologie. Ce retour timide est dû à une longue exclusion de cette science après l’indépendance du Maroc, (c’est le cas pour les autres pays du Maghreb) du fait qu’elle était taxée à tort d’être « une science coloniale », mais aussi parce qu’elle était perçue comme « une science dérangeante » vue les questions qu’elle pose. De ce fait, pour être anthropologue, il fallait aller à l’étranger notamment en France ou aux USA.
Actuellement, les conditions, paraît-il, sont favorables à son retour. C’est ce qui explique l’existence par exemple d’un « centre d’études anthropologiques » au sein de l’Institut royal de la culture amazighe et l’organisation de plus en plus de rencontres scientifiques sur l’anthropologie. Mais ce retour souffre, ce qui est normal dans l’état actuel des choses, de manque d’anthropologues. Dans ce sens, il faut les former en créant des départements d’anthropologie dans toutes les universités marocaines.
Dans le cadre de la deuxième édition de la semaine de l’anthropologie organisée par la faculté des lettres vous avez opté cette année pour le thème de « Filmer la société ». le cinéma et les images en général sont-ils d’un apport pertinent pour le chercheur en sciences sociales ?
En rapport avec ce qui j’avais dis auparavant, l’idée de mettre en place « la semaine de l’anthropologie », que nous espérons qu’elle sera un rendez-vous annuel, a comme objectif de familiariser les étudiants et les chercheurs au discours anthropologique. Cette année c’est la deuxième édition, organisée par le Laboratoire d’Etudes et de recherche sur la culture et la langue amazighes (LERCLA), de la FLSH, Ibn Zohr d’Agadir. La première édition était sur  « l’anthropologie de la Méditerrané ». Le thème de cette année est « Filmer la société ». Une idée qui a émergé en marge du Festival Issni N ourgh international du film amazigh de 2014, suite à une discussion avec Daniel Cling et Cézaro, deux spécialistes français de ce domaine. Pour des raisons professionnelles, ils n’ont pas pu participer. Justement l’objectif est de mettre ensemble historiens, anthropologues et  sociologues avec les réalisateurs et les spécialistes du monde du cinéma. La question qui se pose est de voir si l’image peut être utile pour le chercheur en sciences sociales. La réponse bien évidement est oui avec toutes les précautions méthodologiques nécessaires, car l’image (photographique ou filmique) est très subjective et ne reflète qu’une partie de la réalité. En étudiant l’image c’est le photographe ou le réalisateur qu’il faut d’abord connaître. De quelle position et dans quelles conditions filme-t-il ? L’image peut nous induire en erreur. Cette idée est encore plus juste aujourd’hui avec l’évolution que connaît le monde numérique.
Mohammed Bakrim – al bayane 
(Agadir 15 janvier 2016)

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