janvier 14, 2016

Nouvel An Amazigh 2966 : Entre attente et défis à relever

C’est un rite annuel. Les amazighs célébrèrent, comme à l’accoutumée, le nouvel an amazighe, Yennayer, correspondant à chaque 13 janvier du calendrier grégorien. Une date porteuse de symboles et de significations puisant ainsi ses origines de l’histoire antique. Dans une atmosphère festive, les amazighs rendent hommage à la terre, à l’agriculture et à la nature avec des couleurs, symboles authentiques et plats savoureux servis à l’occasion. Par ailleurs, la date est une occasion bel et bien pour dresser un bilan sur l’état des lieux de l’amazigh. Certes des acquis ont été réalisés, mais d’autres défis restent encore à relever.
En effet, un retard se fait long surtout au niveau de la mise en application des lois organiques relatives à l’officialisation de l’amazigh, ainsi que le recul de l’enseignement de l’amazigh dans l’école publique marocaine. Dans ce cadre, on se rappelle de ces associations amazighes qui ont monté au créneau lors de la rentrée scolaire de l’année de 2015/2016 sur l’état «critique» de l’amazigh dans nos écoles. Ahmed Arhmouch de la Fédération nationale des associations amazighes (FNAA) voit noir concernant la situation de l’amazigh actuellement. «Je suis très déçu du bilan négatif de l’état de l’amazigh, notamment de ce blocage de la mise en application des lois organiques relatives à l’officialisation l’amazigh, ainsi que la situation inquiétante de son enseignement dans l’école marocaine, et ce, du 2003 jusqu’au 2011» a-t-il déclaré à Al Bayane. A cela s’ajoute, selon lui, le non respect des cahiers des charges de 30% relative à la présence de l’amazighité dans les chaines publiques qui ne dépasse pas 3%». Pour le chercheur amazigh Ahmed Assid estime qu’il n’a pas beaucoup de grandes avancées qui ont été réalisées au titre de l’année de 2965. Au contraire, il y avait , d’après lui, une régression au niveau de l’enseignement de l’amazigh a été enregistrée. «Les enseignants qui enseignaient l’amazigh depuis 11 ans ont été chargés d’enseigner la langue arabe. En outre, Conseil supérieur de l'enseignement a considéré la langue amazighe comme langue de communication ; ce qui est hors la constitution», a-t-il confie. Par ailleurs 2016 sera l’année finale du travail sur les deux lois organiques concernant le Conseil national des langues et de la culture marocaine, ainsi que le caractère de officiel de la langue amazighe.


Meryam Demnati de l’Observatoire amazigh des droits et libertés
«La langue amazighe est en danger !»
Meryam Demnati dresse un bilan sombre de la situation de l’amazigh. « Malgré l’officialisation de l’identité, de la culture et de la langue amazighes dans la constitution de 2011, la situation reste la même qu’auparavant, très grave. La langue amazighe est exclue dans la quasi majorité des domaines (administrations, justice, santé, culture, parlement…) et en recul dans d’autres domaines (enseignement et médias).», a-t-elle dit.
Al Bayane : Quelle est la portée culturelle, voire historique de Yennayer pour vous ?
Meryam Demnati : YENNAYER, jour de l'an Amazigh est célébré depuis des millénaires dans toute la Tamazgha. Il n'a jamais cessé d'être en usage dans notre sous-continent nord africain, que ce soit en ville, dans nos campagnes ou nos montagnes. La fête de Yennayer est hautement symbolique, elle a toujours pris une dimension sociale particulière, liée à la terre. Et pour que notre identité, notre culture, et par là même toutes les particularités de toute une civilisation, ne rejoignent pas le cimetière de Histoire, il convient de maintenir, entretenir et raviver toutes ses expressions. Face à l’Etat qui persiste à ne pas reconnaitre cette journée pourtant fêtée surtout le territoire par l’ensemble de notre communauté, qu’elle soit amazighophone ou arabophone, le mouvement amazighe se trouve aujourd’hui de fait investi d’une part de responsabilité liée à la sauvegarde et à la revivification de sa propre identité et de sa propre culture en attendant des lendemains meilleurs. Mise à part les foyers, des activités festives sont organisées en grande pompe sur tout le territoire par des centaines d’associations amazighes qui revendiquent haut et fort l’officialisation de cette journée. L’Etat ne doit pas se limiter à la reconnaissance officielle de la langue et de l’identité amazighes dans la constitution mais aussi à la reconnaissance effective de nos coutumes et de nos traditions qui sont le substrat de tous les marocains sans exception. Une reconnaissance de l’amazighité du Maroc sans avoir aussi reconnu cette journée comme étant nationale et fériée est incohérente et insensée.

Comment se porte l’amazighité aujourd’hui ?
Malgré l’officialisation de l’identité, de la culture et de la langue amazighes dans la constitution de 2011, la situation reste la même qu’auparavant, très grave. La langue amazighe est exclue dans la quasi majorité des domaines (administrations, justice, santé, culture, parlement…) et en recul dans d’autres domaines (enseignement et médias). C’est le mépris total des nouvelles donnes de la constitution et la contradiction flagrante entre le discours et les faits. La poudre aux yeux reste encore une pratique utilisée dans tous les domaines pour se dorer le blason. L’enseignement est une mascarade, la Tv Tamazight toujours satellisée, et aucun respect de la diversité dans les autres chaines. Les rares émissions amazighes qui y ont survécu, sont diffusées à des heures impossibles. Quant aux radios, la radio nationale amazighe n’est toujours pas captée sur l’ensemble du territoire et les autres radios publiques ou privées ne prennent aucunement en compte la diversité culturelle et linguistique de notre pays. La presse amazighe écrite se débrouille quant à elle avec le peu de moyens qu’elle a, se rabattant souvent sur la création de sites électroniques nationaux ou régionaux. D’autre part, à part quelques petites actions ici et là, et les quelques circulaires ou conventions signées par le ministère de la culture concernant les artiste amazighes, la culture amazighe en son berceau, reste encore souvent exclue. Les espaces culturels importants ne réservent à Tamazight que quelques espaces, souvent marginalisés. La culture amazighe n’a toujours pas la place qui lui revient de droit et la prise en charge de l’état est très minime.
Toutes ces données significatives ne font que refléter sans conteste la discrimination culturelle et linguistique qui continue dans les sphères de décision. Notre sentiment profond est que, que les décideurs n’accordent aucune importance à ce qui nous porte préjudice et touche à notre dignité mais plus alarmant encore, ne respectent ni la constitution marocaine ni les engagements nationaux et internationaux.
L’étape que nous abordons aujourd’hui exige une lucidité et vigilance permanente ainsi qu’une vision stratégique de notre avenir qui ne doit pas souffrir de la moindre erreur. Nous sommes conscients qu’aucune langue aussi prestigieuse soit-elle ne peut tenir en vie si elle est bannie de l'école, des médias et des différents domaines publics et privés. Et nous sommes conscients aussi que les forces amazighophobes à l’intérieur et à l’extérieur de l’Etat feront tout ce qui est en leur pouvoir pour freiner cette intégration et nous ériger des obstacles. Les épreuves du passé et du présent nous ont appris à nous méfier. Une vigilance permanente face à un avenir incertain et fragile s’impose sans relâche.
La langue amazighe est en danger ! L’exclure de tous les domaines peut donner des résultats incroyablement rapides et fatals d’une génération à l’autre. D’un bilinguisme vulnérable, on finit par forger une génération monolingue arabisées qui ignorera totalement la langue de ces ancêtres, même pour tous les besoins usuels de la vie quotidienne. Si les langues contemporaines à la langue Amazighe dans les civilisations du bassin méditerranéen ont quasiment disparu, la langue Amazighe quant à elle, est demeurée vivante, témoignant ainsi d’une civilisation ancrée et d’un peuple attaché profondément à ses racines.
Mais aujourd’hui avec les nouvelles technologies, la puissance des médias, l’école et l’administration généralisée, la langue amazighe qui en est exclue, est réellement en péril.
Aujourd’hui, étant donné son statut de langue officielle, l’état est censé protéger la langue amazighe contre toute tentative de minoration politique, juridique et social puisqu’elle devrait être, avec l’arabe, la langue par laquelle se réalise l’ensemble des activités publiques dans des cadres de type administratif, politique, culturel, social et éducatif clairement délimités. Si la langue amazighe est réellement généralisée dans l’enseignement, dans les institutions publiques avec une place honorable dans les médias, elle permettra alors à chaque citoyen de pouvoir s’adresser aux institutions nationales et politiques dans cette langue, d’avoir le droit de l’employer dans toutes relations avec les pouvoirs publics, à tout moment de la vie et dans tous les domaines. Une langue amazighe officielle, c’est aussi l’obligation faite aux pouvoirs publics de l’employer à tout moment.
Et c’est seulement à ce prix là que pourra être préservée la cohésion sociale dans l’avenir et que le Maroc pourra se flatter d’être un véritable modèle de bilinguisme et de respect des droits culturels et linguistiques. Quant aux fameuses lois organiques, celle relative au «Conseil national des langues et de la culture marocaine» est en plein travail. Mais celle relative à l’officialisation de la langue amazighe, et après quatre ans et demi, le gouvernement n’en parle toujours pas, aucune commission n’a été désignée pour travailler sur ce projet. Silence total.Loi sans importance ou peur de se brûler les doigts ???

Quel bilan dressez-vous de la situation de l’enseignement de la langue amazighe ?
De nombreux handicaps entravent encore la bonne marche de l’intégration de l’amazigh dans le système éducatif. Les principaux handicaps sont l’absence de volonté politique, donc d’une planification stratégique, l’insuffisance des mécanismes juridiques qui réglementent l’enseignement, l’insuffisance du nombre d’enseignants, la quasi absence de formation de base et la faiblesse de la formation continue. De prime abord, il faut apporter une précision d’importance : c’est le ministère de l’éducation nationale qui est responsable de l’enseignement de l’amazighe. L’institut Royal de la culture, en tant qu’institut de recherche, apporte sa contribution académique, spécialement dans la confection des curricula, des programmes, dans la formation des enseignants et des formateurs, l’élaboration et la validation des manuels scolaires ainsi que l’aménagement de la langue amazighe. Mais depuis plusieurs années, le ministère de l’éducation a suspendu sa collaboration avec l’IRCAM en gelant la commission mixte MEN/IRCAM mise sur pied en 2003.
Le gouvernement de Benkirane et Rachid Belmokhtar, son ministre de l’éducation, continue à mépriser la langue et la culture amazighes dans le système éducatif marocain, et continue à lui octroyer une place minime au service de la langue arabe. La langue amazighe devenue officielle depuis 2011 dans la constitution, loi suprême du pays, la généralisation horizontale et verticale de son enseignement a été non seulement bloquée mais a reculé dans plusieurs académies. Il s’agit d’une violation de la constitution et d’une contradiction flagrante avec les grandes orientations de l’état. Le ministre de l’éducation dès son arrivée a mis sur pied un nouveau plan pour 2030, où Tamazight est quasiment absent, il n’y est question que de l’arabe et des langues étrangères. Il a fait de tous les acquis, minimes soient-ils. De son côté, le conseil supérieur de l’enseignement d’où la société civile amazighe est totalement exclue, ignore à son tour tous les acquis précédents dans ce domaine. C’est ainsi que dès le début de septembre, à la rentrée scolaire 2015-2016, la discrimination à l’encontre de Tamazight a continué. Des enseignantes et enseignants de la langue amazighe ont été convoqués aux différentes délégations et académies où il leur a été ordonné d’enseigner dorénavant l’arabe. La raison invoquée, est celle du manque d’effectifs en enseignants de langue arabe. Le message est clair. L’enseignement de la langue amazighe n’est pas pris au sérieux et l’officialisation de cette langue dans la constitution de 2011 encore moins. Des délégués, encouragés par l’attitude discriminatoire de leur ministre, se sont empressés de supprimer les postes d’enseignants spécialisés de l’amazighe en faveur de l’arabe, notamment le délégué de Rabat.
Plusieurs associations amazighes dont la confédération nationale des associations des enseignant( e)s de la langue amazighe, qui agissent dans un large réseau de coordination, ont tenues des conférences de presse, des assemblées régionales et nationales et des sit-in, ont publié des communiqués, adressé des lettres au gouvernement, mais en vain. Mépris total.
L’existence de résistances et de blocages multiples, notamment au niveau des élites politiques et intellectuelles, les unes obsédées par le modèle de l'Etat-nation centralisateur (une seule langue, une seule culture) et les autres satellisées à l'idéologie nationaliste arabo-islamique, font que depuis 2003 après son introduction dans l’enseignement, la langue Amazighe peine à trouver sa place de langue normale au sein de l’école marocaine. Cet état des choses confirme que la décision l’enseigner était plutôt politicienne, discours pour absorber les critiques internationales de la performance du Maroc dans le champ des droits humains. Le Maroc avait alors été pointé du doigt par la commission contre la discrimination aux nations unis. Et aujourd’hui, continue encore a être interpellé pour son peu de volonté politique à appliquer la constitution quant aux droits linguistiques et culturelles amazighes. Les décideurs étant conscients que la formule la plus efficace pour éradiquer une langue est celle de l’enseignement obligatoire de la langue privilégiée de l’État pour tous et sa médiatisation à outrance, cela peut donner des résultats incroyablement effrayants d’une génération à l’autre.

Quid de la réclamation de Yennayer comme jour férié ?
Chaque année, la même réclamation, la même revendication, en direction de l’Etat marocain est renouvelée, lors de manifestations et de communiqués par le mouvement amazighe : Yennayer, fête nationale officielle et jour férié. Mais chaque année, l’Etat par son silence, fait la sourde oreille, continuant ainsi à rejeter une de nos expressions culturelles et coutumes ancestrales hautement symboliques et poursuivant par conséquent sa discrimination culturelle à l’encontre de notre patrimoine ancestral antérieur à la culture arabo-islamique.
Un phénomène nouveau fait son apparition depuis quelques années : quelques organisations et partis politiques ont joint leur voix à celle des militants amazighes allant même jusqu’à appeler leur militants à chômer cette journée.
D’autre part, dans leurs interventions au niveau des instances internationales et pour une plus forte pression sur l’Etat, un dossier a aussi été déposé à l’UNESCO par des associations amazighes, pour sa reconnaissance en tant que patrimoine mondial, mettant en avant les dimensions historique, socio-économique, culturelle, scientifique et environnementale de l'an amazigh, en tant qu’évènement que les pays d'Afrique du nord célèbrent depuis des millénaires selon des traditions et coutumes héritées des ancêtres.
Signalons que de son côté, l’Algérie qui vient de reconnaitre la langue amazighe officielle dans sa constitution, a décidé d’introduire le nouvel an amazigh dans ses programmes scolaires. Un cours sur “Yennayer” organisé par le ministère de l’éducation nationale en collaboration avec le Haut commissariat à l’Amazighité (HCA), sera dispensé dans toutes les écoles, collèges et lycées à travers le pays dès cette année, ouvrant ainsi la voie à sa reconnaissance officielle en tant que journée nationale, et fériée.
L’Etat marocain qui se veut être le modèle de respect de la diversité culturelle et linguistique dans la région, et qui se gargarise de cet exploit au niveau international, peine apparemment à franchir ce cap et assumer jusqu’au bout sa nouvelle constitution.

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