février 05, 2016

Algérie : le Congrés Mondial Amazigh dit non à la Constitution qui consacre la ségrégation


Dans un communiqué publié le 22 janv 2016, le congrès Mondial Amazigh a dit tout simplement non au projet de constitution proposée par le cabinet du président Abdelaziz Boutelfliqa. Le CMA a critiqué tout d’abord le préambule en rapportant : « Le texte du projet constitutionnel affirme que les composantes fondamentales de l’identité de l’Algérie seraient « l’Islam, l’Arabité et l’Amazighité », citées dans cet ordre, suggérant que l’amazighité est la dernière arrivée, au mépris de la chronologie historique qui témoigne que l’Algérie et tout le nord de l’Afrique sont des territoires amazighs depuis la nuit des temps et que l’arabo-islamité n’est arrivée dans cette région qu’au 7ème siècle, » . Ci-après le communiqué dans son intégralité :




Le gouvernement algérien propose un projet de révision de la Constitution du pays qui devrait être adopté par voie référendaire au cours de l’année 2016. 

Même si l’expérience nous apprend qu’en Algérie les principes du droit universel et la démocratie sont quotidiennement violés par ceux-là mêmes qui sont censés les protéger et les mettre en œuvre, le Congrès Mondial Amazigh a décidé d’apporter sa contribution au débat dans un but constructif, pour une Algérie démocratique, plurielle et respectueuse des droits et des libertés. 

Dans la partie « préambule », nous constatons d’emblée l’usage immodéré d’un langage emphatique et souvent falsificateur de l’histoire du pays et de la réalité quotidienne que vivent les citoyen-nes. Nous aurions souhaité une rédaction plus sobre et respectant l’authenticité des faits. 

La première phrase commence par « le peuple algérien », faisant comme s’il y avait dans ce pays une seule communauté humaine unie autour d’une histoire, d’une culture, d’une langue et d’un destin uniques. Et à la lecture du reste de la Constitution, on comprend aisément que dans l’esprit des rédacteurs de cette nouvelle Constitution, la pseudo unicité de l’Algérie, repose sur la seule identité « arabo-islamique », excluant l’amazighité. Or, malgré une politique d’éradication intense, l’amazighité reste bien vivante et portée par des millions de personnes qui revendiquent qu’elle soit traitée à égalité avec l’arabité. Par ailleurs, devant la férocité de la politique anti-amazighe (assassinat de Lounès Matoub, Printemps noir de l’année 2001, répression des At-Mzab depuis 2013, persécutions des militants amazighs, etc…), de nouveaux mouvements sont apparus dans plusieurs territoires amazighophones (Kabylie, Aurès, Mzab) pour réclamer le droit à l’autonomie ou à l’autodétermination. Comment dans ces conditions parler d’un seul peuple en Algérie ? Comment continuer d’ignorer ou de traiter par la répression les revendications démocratiques des organisations qui militent pacifiquement pour l’autonomie ou le droit à l’autodétermination des territoires amazighs ? 

Le texte évoque les luttes qui ont fait de l’Algérie « une terre de liberté et de dignité ». C’est une affirmation qui porte atteinte à la crédibilité de l’ensemble du texte tant les violations des droits et des libertés sont quotidiennes dans ce pays. Du fond de leurs prisons de Taghardayt et d’El-Ménéa où ils sont détenus sans jugement, Kamel-Eddine Fekhar, défenseur des droits de l’homme et ses camarades, sont les témoins criants de l’abus de pouvoir et des violentes injustices pratiqués par le gouvernement algérien. 

Faisant référence aux origines de l’Algérie, le texte rappelle « l’épopée » de l’islam, suggérant ainsi que l’arrivée de l’islam et des Arabes en Afrique du nord est une aventure humaine héroique et émancipatrice pour les Amazighs autochtones. Nous retrouvons là, la réthorique du discours du colonisateur qui se justifie en prétendant amener la civilisation dans les territoires qu’il colonise. Pour ce qui nous concerne, nous préférons respecter les faits historiques avérés qui nous enseignent que les Arabes sont arrivés dans nos pays par la force et que les Amazighs (Aksil, la reine Dihya…) leur ont opposés une résistance farouche qui se prolonge d’ailleurs jusqu’à nos jours. Cette vérité étant dite, elle ne doit pas laisser penser que les Amazighs considèrent que les non-autochtones ne sont pas chez eux en Algérie. La seule chose qu’ils réclament, c’est que ces non-autochtones ne se comportent pas comme des colons aujourd’hui. 

Le texte du projet constitutionnel affirme que les composantes fondamentales de l’identité de l’Algérie seraient « l’Islam, l’Arabité et l’Amazighité », citées dans cet ordre, suggérant que l’amazighité est la dernière arrivée, au mépris de la chronologie historique qui témoigne que l’Algérie et tout le nord de l’Afrique sont des territoires amazighs depuis la nuit des temps et que l’arabo-islamité n’est arrivée dans cette région qu’au 7ème siècle, après d’autres invasions étrangères comme celle des Vandales, des Byzantins ou des Romains. L’honnêteté impose que l’Amazighité, seule composante autochtone, soit toujours mentionnée en premier, bien avant les influences venues des territoires hors de Tamazgha.

Les dirigeants algériens qui proposent ce projet de révision de la Constitution démontrent une fois de plus qu’ils sont inféodés à l’idéologie arabonationaliste lorsqu’ils affirment que « l’Algérie, terre d’Islam, partie intégrante du Grand Maghreb, pays arabe », excluant totalement la composante amazighe pourtant mentionnée plus haut dans le texte. Pour nous, l’Algérie est sans conteste, un pays amazigh, la terre de toutes les croyances et même des incroyances, partie du nord de l’Afrique, de la Méditerranée et de l’Afrique. 

Les Amazighs qui ont payé un lourd tribut à la lutte contre le terrorisme islamiste et qui en sont victimes jusqu’à aujourd’hui, ne peuvent accepter cette « politique de réconciliation nationale » qui a eu pour effet de réhabiliter des criminels mais sans que ces derniers n’aient été jugés ni qu’ils aient demandé pardon. Il est primordial que le texte constitutionnel condamne sans équivoque le terrorisme islamiste et ses commanditaires ainsi que l’idéologie obscurantiste qui l’anime et rende un vibrant hommage aux femmes et aux hommes qui lui ont courageusement résisté. 

Dans le domaine économique et écologique, alors que la communauté mondiale vient de s’engager dans une stratégie de limitation du réchauffement climatique, le « développement durable et de la préservation de l’environnement » nécessitent que l’Etat algérien abandonne l’extraction des gaz de schiste qui constitue une agression destructrice de la nature. 

Enfin, l’Algérie doit affirmer clairement son attachement aux droits humains tels qu’ils sont universellement reconnus, qu’elle souscrit aux principes, droits et obligations énoncés dans les Chartes, Conventions, Accords, Pactes et Traités internationaux. Elle doit également déclarer qu’elle reconnait et respecte la primauté du droit international sur le droit interne et s’engage à en traduire les dispositions dans la législation du pays. 

Pour la partie consacrée aux articles, voici nos commentaires et nos attentes concernant quelques articles parmi les plus importants :

- Article 1 : « L’Algérie est une République Démocratique et Populaire. Elle est une et indivisible ». Cet article doit être réécrit comme suit : « L’Algérie est une république démocratique fondée sur le pluralisme politique, économique, juridique, culturel et linguistique ». 

- Article 2 : « l’islam est la religion de l’Etat ». Les croyances doivent relever de la sphère privée conformément à la culture séculière amazighe et au droit international qui prône la liberté de conscience. Cet article doit donc être supprimé et remplacé comme suit : « L'Etat est séparé de toute religion. Il respecte et garantit la liberté de religion et les croyances spirituelles ».

- Articles 3 et 3 bis : Tels qu’ils sont rédigés, ils consacrent la suprématie de la langue arabe et relèguent la langue amazighe au second plan, ce qui est violemment discriminatoire à l’encontre de Tamazight et donc inacceptable. Les deux articles doivent être fusionnés dans un article 3 unique qui doit stipuler que « Tamazight et l’Arabe sont les deux langues nationales et officielles. L’Etat oeuvre à leur promotion et à leur développement de manière égalitaire ». 

- l’article 5 concernant « l’emblème national et l’hymne national » doivent être modifiés. Aza, le symbole de l’Amazighité doit être ajouté au drapeau et l’hymne national, conçu pendant la guerre, n’est plus adapté à la situation d’aujourd’hui. La référence à « l’ennemi français » doit être supprimée et remplacée par « l’amitié entre les peuples ».

- Article 17 : Conformément à la déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones adoptée par l’Algérie, l’article doit être modifié et rédigé comme suit : « L’Etat algérien reconnait et respecte les droits des communautés amazighes à leurs terres, territoires et ressources naturelles. Ces dispositions concernent aussi le droit au sous-sol, les mines et les carrières, les sources naturelles d’énergie, les richesses minérales, naturelles et vivantes des différentes zones du domaine saharien, maritime, les eaux et les forêts ». 

- Article 17 bis : « Il ne peut y avoir d’activités militaires sur les terres ou territoires traditionnels des Amazighs, sauf si elles ont été librement décidées en accord avec les communautés locales concernées, ou demandées par elles ».

- Article 28: Cet article doit être complété par « l’Etat souscrit aux principes et objectifs des chartes, conventions, accords, pactes et traités internationaux. Le droit international est supérieur au droit national. En conséquence, toute la législation et la réglementation algériennes doivent être conformes au droit international ». 

- Article 42: L’article doit être réécrit de la façon suivante : « Le droit de créer des partis politiques est reconnu et garanti. Ce droit ne peut toutefois être invoqué pour attenter aux libertés fondamentales, aux droits de l’homme et aux valeurs humaines universelles ainsi qu’au caractère démocratique et républicain de l’Etat ». 

- Article 51: Afin d’assurer l’égalité de tous les citoyen-nes sans discrimination, la phrase qui prévoit que « la nationalité algérienne exclusive est requise pour l’accès aux hautes responsabilités de l’Etat et aux fonctions politiques », doit être supprimée. 

- Article 62: Compléter cet article qui indique que l’Etat « œuvre à la promotion de l’écriture de l’histoire et de son enseignement aux jeunes générations », par la phrase suivante : « Afin d’en garantir l’authenticité, l’histoire amazighe doit être écrite par des spécialistes reconnus et sous le contrôle des organisations représentatives amazighes ». 

- Article 73: L’article doit être modifié comme suit : "Pour être éligible à la Présidence de la République, le candidat doit: Jouir de la nationalité algérienne, avoir quarante (40) ans révolus au jour de l’élection, jouir de ses droits civils et politiques, produire une déclaration publique du patrimoine mobilier et immobilier, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de l’Algérie ». Le reste est supprimé.

- Article 76: Le Président de la République prête serment en tamazight et en arabe, au nom du peuple et non « au nom d’Allah », il ne « jure pas par Allah » mais « s’engage devant le peuple à respecter et à défendre tous les droits humains et toutes les libertés, y compris la liberté de croyance et de conscience ».

- Article 77: Le point 9 qui prévoit que « le président conclut et ratifie les traités internationaux », doit être modifié comme suit : « le président signe les Chartes, Conventions, Accords, Pactes et Traités internationaux et les promulgue après leur ratification par l’Assemblée Nationale ». 

- Article 98: « Le pouvoir législatif est exercé par un Parlement, composé de deux chambres, l’Assemblée Populaire Nationale et le Conseil de la Nation ». Dans la mesure où le Conseil de la Nation est un double inutile de l’assemblée nationale, cet article doit être modifié comme suit : « Le pouvoir législatif est exercé par l’assemblée nationale ». Le Conseil de la nation est donc supprimé.

- Article 99: Ajouter à cet article : « l’assemblée nationale ratifie les Chartes, Conventions, Accords, Pactes et Traités internationaux, dans les 30 jours suivant leur publication ». 

- Article 102: Cet article qui indique que « l’assemblée nationale est élue pour une durée de cinq (5) ans », doit être complété comme suit : « Les membres de l’assemblée nationale sont rééligibles une fois ». Ceci, afin d’éviter que l’exercice d’un mandat politique ne devienne une profession. 

- Article 132: cet article qui stipule que « les traités ratifiés par le Président de la République, dans les conditions prévues par la Constitution, sont supérieurs à la loi », doit être modifié ainsi : « Les Chartes, Conventions, Accords, Pactes et Traités internationaux ratifiés par l’Algérie sont supérieurs aux lois nationales ». 

- Article 168: Celui-ci prévoit que « lorsque le Conseil Constitutionnel juge qu’un traité, accord ou convention est inconstitutionnel, sa ratification ne peut avoir lieu ». Cet article doit être re-rédigé comme suit : « Lorsque la Constitution se trouve en contradiction avec un traité, accord, pacte ou convention, la Constitution doit être révisée dans un délai maximum de 6 mois afin de la mettre en conformité avec ledit traité, accord, pacte ou convention ». 

- Article 171: « Il est institué auprès du Président de la République, un Haut Conseil Islamique ». La religion étant une affaire privée, cet article n’a pas de raison d’être. 

- Article 173-1: « Il est institué un Conseil National des Droits de l’Homme, placé auprès du Président de la République ». Afin de garantir son indépendance vis-à-vis de l’exécutif, le Conseil national des droits de l’homme ne doit pas être sous l’autorité du chef de l’Etat ni d’aucune instance du pouvoir. L’article doit donc indiquer que « le Conseil national des droits de l’homme est un organisme indépendant, jouissant de l’autonomie administrative et financière et dont les membres sont désignés par les organisations de la société civile ». 

- Article 178: Cet article doit être modifié comme suit : « toute révision constitutionnelle ne peut porter atteinte: au caractère républicain de l’Etat, à l’ordre démocratique basé sur le multipartisme, à Tamazight comme langue nationale et officielle, aux libertés fondamentales, aux droits de l’homme et du citoyen et au fait que le Président de la République et les députés sont rééligibles une seule fois ».

C’est finalement à une autre République, à un autre projet de société plus généreux auxquels le CMA appelle, pour une Algérie qui tourne résolument le dos aux archaismes, au non droit et aux conflits et qui s’ouvre sur le progrès humain dans toutes ses dimensions.

Tizi-Wezzu, 10/01/2966 - 22/01/2016

Le Bureau du CMA.




Auteur: Amazighworld 

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