avril 02, 2016

Les Juifs dans le Maroc Nouveau - 1957

Les Juifs dans le Maroc Nouveau - 1957
JUIF DU MAROC
il faut encore une fois, se remettre dans le contexte et le temps pour la lecture de cet article de Carlos De Nesry dans la presse juive d'antan. Il fait une analyse par une multitude de questions sur l'avenir des juifs du Maroc, et ce au lendemain de l'indépendance du Maroc.

Il reste aujourd'hui moins de 3000 juifs Marocains, et il est interessant de voir quelles sont les réponses à ces questions .......

Si jamais il y adhérait, les conditions seraient-elles changées pour nous ? Verrions-nous alors reparaitre à notre horizon, l’antinomie Maroc-Israël jusqu'ici tacitement enfouie ? Connaitrions-nous alors les répercussions de toutes les Gaza de l’avenir ? (I ) Les Sinaï éventuels viendraient-ils troubler l’harmonie de la coexistence locale et remettre en question nos rapports? Nous reprocherait-on alors notre sionisme, même réduit aux dimensions d'une fidélité sentimentale ? Nous imputerait-on à crime l’expression — ou la pensée — de cette fidélité qui demeure la trame profonde de notre conscience ? Faudrait-il alors juguler tous les messianismes, et mettre, comme jadis à Byzance, une sourdine à nos prières pour Sion ? L'heure du silence, l’heure de l’hypocrisie, auront-elles alors sonné pour cette communauté ?


Dans cette perspective, on pourrait même se demander si l’arrêt officiel de la alyah, l’institution temporaire du visa de sortie, manifestement orienté vers les Juifs, étaient des symptômes ou bien des accidents sans transcendance et de simples « épiphénomènes » ?

La question restera longtemps entière. Qui sondera, en effet, les cœurs et les reins ?

L'orientation économique enfin est la troisième inconnue — et peut être la plus importante — qui domine notre avenir dans ce pays. Si les antinomies d'ordre spirituel et intellectuel peuvent être plus ou moins résolues par des démarches de la pensée, il n'en est pas de même pour les problèmes d'ordre économique. Cette question est le type même de celles qui dépassent nos concitoyens musulmans eux-mêmes et leur bon vouloir à notre égard. Au même titre que les autres habitants du pays, les Israelites subissent le contrecoup de la c r i s e actuelle dans l’économie de la nation. La fuite des capitaux, le départ des Européens, la fermeture conséquente des usines et du commerce, le chômage croissant, le marasme général des affaires, font reconsidérer le problème de notre présence ici sous un aspect complètement nouveau. Le problème de confiance en général est dépassé, remplace par le problème particulier des possibilités économiques qui puissent s'offrir ici. C'est ainsi que beaucoup sont amenés 4 envisager le départ. Un frémissement d'émigration parcourt toutes les couches de la population israélite. L'exode des Juifs marocains a commencé, insensiblement, subrepticement, exode qui n'est voulu par personne, mais que les impératifs économiques rendent souvent inévitable. Exode qui ne signifie pas une option politique quelconque, mais, en ces circonstances, une initiative qu'on juge vitale. Le bon peuple ne fuit pas le Maroc, mais sa propre misère. Il ne quitte pas de gaîté de cœur un pays qui est fait pour lui, mais le départ est pour lui une chance de quitter définitivement l'indigence, le taudis, et l’incertitude du lendemain. Les classes moyennes à leur tour fuient cette même incertitude du lendemain. Les partants ne s'en vont pas du reste exclusivement en Israël, mais en France, au Canada, au Venezuela, au Brésil, vers des contrées lointaines et rutilantes ou ils pensent trouver pour leurs entreprises la sécurité et la prospérité.

Ces perspectives changeront-elles un jour ? Ici aussi la question reste entière. Les facteurs innombrables qui interviennent dans l’économie d'un pays, depuis les hommes qui le dirigent jusqu'aux amitiés internationales avec lesquelles il peut compter, ne peuvent que laisser le problème en suspens.




LE PARI

Que faire devant toutes ces questions ? Les esquiver ? Elles nous suivent. Ne pas choisir est encore une façon de choisir. Partir ? Rester ? II est aussi difficile de partir que de rester. Toutes les questions doivent-elles rester en suspens, parce que toutes les solutions risquent d'être fausses ?

II reste, à mon sens, le pari. Le même pari auquel, dans mon «Juif de Tanger», j'ai engagé mes coreligionnaires de ce pays, et que la plupart, inconsciemment ou délibérément, font en pratique. La grandeur de Socrate, a-t-on dit, n'est pas d'avoir prouvé l'immortalité, mais d'avoir parie pour elle.

Parions donc pour le Maroc, malgré toutes les apparences, malgré toutes les contingences. Une fois ce pari fait, tenons-nous à notre choix avec courage et persévérance. Tournons-nous résolument vers le Maroc et cultivons désormais notre jardin, ce jardin dont nous avons cru pouvoir impunément porter les bornes jusqu'à l’infini. Rallions-nous à l'air, au ciel, à l’herbe et aux arbres de ce pays. Rallions-nous à ses hommes. Adoptons ses songes, ses inquiétudes et ses attentes. Adoptons décidément l'Etat nouveau qui renait de ses cendres et vivons à son rythme. Ordonnons-nous en fonction de cette partie profonde mais oubliée de nous-mêmes.

Est-ce l'aventure ? Est-ce le saut dans l’inconnu ? Mais demain est partout un mythe, et l’action toujours un pari. « Ignoti nulla cupido » n'a jamais été la devise de l’audace, ni celle de l'engagement. Avançons de face et le regard droit sur la lumière. Parions sur le meilleur et le bonheur. Parions sur le printemps de ce pays qui sera aussi notre printemps. Misons sur un Souverain dont la sagesse n'est plus à prouver, sur une génération évoluée qui revient, elle aussi, de son occidentalisation, en retrouvant, au bout, ses vertus permanentes.

Logique affective ? Mais une logique implacable n'a jamais débouché sur l’optimisme. Et nous avons un besoin vital d'optimisme, la nécessité absolue de respirer dans l’enthousiasme. Nous ne pouvons croire que dans la ligne de notre espoir. La confiance doit toujours rester pour nous à l’ordre du jour. Confiance dans l’ordre futur des choses, dans l’ordre miraculeux des évènements, confiance même dans l’invraisemblable.

Pour que notre pari soit valable, nous devons croire que ce pays ne sera pour nous ni l'lrak ni l’Egypte. Que l'immolation de Shafik Ades, les exactions et les expulsions du Caire n'y trouveront jamais leurs répliques. Que les projets d'émigration massive n'ont pas de raison d'être, et que si jamais ils avaient à devenir une réalité, personne ne s'y opposerait, la liberté de circulation étant garantie. Pour que notre pari soit valable, nous devons croire que les principes démocratiques passeront des déclarations aux institutions, que les recommandations des dirigeants finiront par pénétrer les masses populaires, que les discriminations de fait ne viendront pas se substituer aux discriminations légales de naguère. Que dans un Maroc laïque et libéral, nous serons toujours surs de trouver notre place et l'emploi meilleur de nos vocations. Nous devons croire que notre occidentalisme même ne sera pas un obstacle ou un facteur d'isolement. Que dans cette manière d'être, nous aurons avec nous tous ceux qui, parmi nos concitoyens musulmans, ont gouté aux mêmes sources et partageé nos nourritures terrestres. Et, qu'en fin de compte, ni Virgile ni Baudelaire ne quitteront point ces rivages... Et, si tout cela est un risque, c'est au moins, comme aurait dit Platon un beau risque.

 Article de Carlos de NESRY publié en 1957.

Publié par Georges SEBAT sur 30 Janvier 2015, 10:54am

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