mai 10, 2016

Mythe et histoire aux derniers temps de l’Afrique antique

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À PROPOS D’UN TEXTE D’IBN KHALDOUN

Dans la frénésie commémorative qui a marqué la dernière décennie, un anniversaire est passé complètement inaperçu. À l’extrême fin du VIIe siècle se produisit pourtant un événement capital pour l’ensemble du monde méditerranéen, qui aurait assurément mérité le souvenir des historiens sinon du grand public : la prise de Carthage par les Arabes en 698 [1] marqua en effet un tournant décisif, à partir duquel s’enclencha de
manièredéfinitive le processus qui allait faire de la vieille Afrique romaine et chrétienne un Maghreb arabe et musulman. Pour des raisons qui constitueraient certainement en elles-mêmes un sujet d’étude, on s’intéresse fort peu aujourd’hui en Europe à cet événement, comme d’ailleurs à tout ce qui est relatif à l’Afrique du Nord du dernier siècle byzantin et des premiers siècles arabes. Le contraste n’en est que plus saisissant avec l’intérêt passionné qu’ont voué à cette période plusieurs générations de savants français. Depuis les débuts de l’érudition africaniste, après la prise d’Alger en 1830, jusque dans les années 1960 [2], la liste est longue en effet des historiens qui, non sans arrière-pensées plus ou moins conscientes quant à l’évolution de l’Algérie coloniale de leur temps [3], voulurent comprendre et tentèrent d’expliquer ce qu’il était commun d’appeler l’ « échec de Rome en Afrique ». À cette variante régionale du Gibbon’s problem, la réponse proposée fut souvent l’insuffisance de la romanisation des populations indigènes : le Berbère, défini comme un « éternel Jugurtha » [4], surtout lorsqu’il était montagnard, n’aurait jamais été vraiment pénétré par la civilisation latine, et au soir de l’empire d’Occident, il aurait retrouvé une agressivité qui finit par ruiner l’œuvre romaine, préparant ainsi la victoire arabe. Mais cette thèse très générale s’enrichit très tôt d’une seconde explication, propre à l’Antiquité tardive, qui s’affirma avec d’autant plus de facilité qu’elle offrait un remarquable parallélisme avec les événements européens de la même époque : la théorie des migrations néoberbères. Formulée pour la première fois en 1862 par un militaire érudit, en garnison en Algérie, Henri Tauxier [5], cette théorie n’a d’abord connu qu’un succès limité. Adoptée seulement par deux figures marquantes de l’érudition du début du XXe siècle, le P. Mesnage et l’historien juif Nahum Schloutz [6], elle ne suscita que l’indifférence des premiers grands historiens universitaires de l’Afrique antique ou médiévale, comme S. Gsell, Ch. Diehl et G. Marçais [7]. Presque oubliée après eux, elle ne resurgit, sous une forme infiniment plus brillante, qu’à la fin des années 1920, au cœur d’un fameux livre d’Émile-Félix Gautier, Les siècles obscurs du Maghreb [8]. Mais, indissociable dès lors de l’œuvre de ce savant, dont on a peine aujourd’hui à imaginer l’influence qu’il exerça en son temps sur l’érudition africaniste, elle en partagea désormais le succès. Malgré les critiques isolées de quelques chercheurs comme W. Marçais [9], qui semblaient cependant plus la contester dans le détail que la condamner sur le fond, la théorie réussit ainsi à séduire après 1945 des savants aussi divers que M. Simon et Chr. Courtois [10], ou plus récemment, sous une forme rénovée, G. Camps et D. Mattingly [11]. Profitant largement de l’absence de recherches nouvelles, elle est même devenue aujourd’hui un modèle explicatif majeur de l’histoire de l’Afrique dans l’Antiquité tardive, voire au Haut-Empire, puisqu’elle a été invoquée aussi pour un essai de réinterprétation des révoltes berbères de Maurétanie aux IIe et IIIe siècles [12]. Trois affirmations définissent ce modèle dans sa forme actuelle : Il y aurait eu à partir du IVe siècle, et de manière continue jusqu’au milieu du Moyen Âge, un lent mouvement d’est en ouest de tribus berbères sahariennes, parties des déserts libyo-égyptiens pour aboutir, avant même la conquête arabe, dans l’Aurès et l’Algérie centrale. Un exemple sûr illustrerait ce mouvement, celui de la grande confédération tribale des Laguatan ou Lawâta [13], dont on a pu proposer une carte précise des déplacements (fig. 1). Ces tribus, surtout à cause de leur origine et de leur mode de vie, le nomadisme chamelier, seraient nettement différentes des groupes berbères connus des Romains au Haut-Empire et établis dans la Tunisie ou l’Algérie actuelles. Ce seraient donc des Néoberbères, à opposer aux anciens indigènes qui seraient les Paléoberbères. Enfin, cette migration néoberbère aurait, dès le VIe siècle gravement perturbé l’économie de l’Afrique romaine ; elle aurait aussi déromanisé les populations d’une partie de ses territoires, et ruiné ainsi les fondements du pouvoir byzantin. Bref, elle aurait largement facilité la victoire arabe, l’islamisation et l’arabisation [14]. Fig. 1. — La migration des Laguatan/Lawâta dans l’Antiquité tardive selon D. J. Mattingly (reproduction simplifiée de la carte donnée dans Lybian Studies, 14, 1983, p. 102) Reprendre tous les problèmes posés par ce schéma très ambitieux dépasserait évidemment les limites d’un simple article [15]. Notre objectif ne sera donc pas ici de discuter chacune des trois affirmations énoncées auparavant, mais seulement, dans une perspective qui se voudra autant méthodologique qu’historique, d’examiner un type de sources, et une manière d’interpréter ce type de sources, qui sont à l’origine même de la théorie et n’ont cessé d’être répétés pour la justifier. Le grand paradoxe de la théorie des migrations repose en effet sur l’extraordinaire fragilité de ses fondements documentaires. Aucun texte grec ou latin ne comporte la moindre allusion à ce prétendu mouvement incessant et massif des tribus de l’actuelle Libye vers la Tunisie et l’Algérie entre le IVe et le VIIe siècle, et la recherche archéologique dans ces deux derniers pays n’a jamais livré jusqu’ici d’évidences qui en offrent un commencement de preuve. Du premier article de Tauxier en 1862 au mémoire de D. J. Mattingly en 1983, en dehors de considérations générales dépourvues de repères chronologiques précis sur l’expansion de l’élevage du dromadaire ou la diversité des dialectes berbères [16], tout repose en fait sur une série de textes arabes médiévaux dont la nature mythique n’est pas contestée, mais auxquels chacun s’est efforcé d’appliquer une critique « positiviste » qui est l’objet même de notre réflexion. Fig. 2. — La migration des Berbères selon le mythe d’origine rapporté par Ibn Khaldûn et Ibn ‘Abd al-Barr À la base puis au cœur de tous les raisonnements, apparaît ainsi d’abord une référence au Kitâb al-‘Ibar d’Ibn Khaldûn [17] , célèbre savant arabe de la fin du XIVe siècle, toujours lu dans la traduction donnée par le baron Mac Guckin de Slane au début du Second-Empire [18] (Ibn Khaldoun, Histoire des Berbères, t. 1, p. 181-182). Évoqué et tout de suite interprété, sans être intégralement cité, par Gautier et Courtois, ce texte a été plus franchement placé par D. J. Mattingly au centre de son analyse des mouvements de la grande confédération berbère des Laguatan [19]. Certes, remarque d’abord le savant britannique, « il est dommage qu’il n’existe aucune histoire berbère écrite de la migration des Laguatan entre le IIIe et le VIIIe siècle, car au temps où Ibn Khaldûn écrivit son œuvre, le processus de transmission orale de la tradition avait compliqué déjà beaucoup le récit en y introduisant des généalogies mythiques servant d’explication ». La remarque s’impose en effet car le passage qui va être commenté s’insère dans une partie de l’œuvre d’Ibn Khaldûn consacrée aux origines généalogiques des Berbères. Mais, corrige alors D. J. Mattingly, l’obstacle n’est qu’apparent car « si peu réalistes que soient ces généalogies, elles sont solides sur un point, qui est que les Berbères venaient de l’est, et qu’une migration vers l’ouest fut un thème essentiel de leur histoire orale (voir De Slane, t. 1, p. 176-182) ». Et plus précisément, affirme-t-il, « une des sources citées par Ibn Khaldûn, Abu Omer Ibn Abd el Berr, traite spécifiquement des origines des tribus Louata et établit que ces gens vinrent d’Égypte et se déplacèrent à travers le désert au sud de la Cyrénaïque. Une de leurs branches s’établit en Tripolitaine, et une autre, les Nefza, dans un autre territoire, probablement l’actuel Nefzaoua en Tunisie méridionale. Par la suite, la tribu atteignit Kairouan et d’autres terres au-delà (The tribe eventually reached Kairouan and beyond) ». Ainsi existerait bien, conclut Mattingly, ce qu’il faut appeler an historical evidence à l’appui de la théorie des migrations des Laguatan dans l’Antiquité tardive [20]. Qu’en est-il en réalité ? Le texte évoqué n’étant, cette fois non plus, pas cité intégralement, la première obligation qui s’impose à nous est de le reproduire exactement, en reprenant d’abord, pour éviter toute contestation, la traduction de De Slane utilisée par Mattingly et ses prédécesseurs : Abû ‘Umar Ibn ‘Abd al-Barr dit dans son ouvrage intitulé « Classification des généalogies » : Une grande diversité d’opinion existe au sujet des origines berbères ; mais la plus probable est celle qui présente ce peuple comme les enfants de Cobt, fils de Cham. Quand Cobt se fut établi en Égypte, ses fils en sortirent pour aller vers le Maghreb, et ils prirent pour habitation le territoire qui s’étend depuis la frontière de l’Égypte jusqu’à l’océan Vert [l’Atlantique] et la mer de l’Andalousie, en passant derrière Barca [la Cyrénaïque], et en se prolongeant jusqu’à la limite du grand désert. De ce côté, ils se trouvèrent dans le voisinage immédiat des peuples nègres. Une de leurs familles, les Luwâta, occupa le territoire de Tripoli ; et une autre, les Nafza, s’établit auprès de cette ville. De là, ils s’avancèrent jusqu’à Kairouan, et passèrent en avant jusqu’à ce qu’ils parvinrent à Tahert, à Tanger, à Sidjilmassa et au Sous el Acsa. Ces populations étaient des Sanhâdja, des Ketâma, des Dokkala, branche des Ouerglaoua, des Fetouaka, branche des Heskûra, et des Meztaoua.  [21] Indiscutablement, il est bien question ici d’une migration berbère, dont les fameux Lawâta auraient été des acteurs notables. Mais il faut beaucoup d’audace pour assimiler un tel texte à un témoignage historique. Situé, comme Mattingly le note en passant, au milieu d’un long développement généalogique [22], l’extrait n’offre en fait qu’une des innombrables versions du mythe d’origine du peuple berbère tel qu’il figure chez un nombre considérable d’historiens, de géographes, de généalogistes ou d’encyclopédistes arabes. Ibn Khaldûn recopie seulement dans ce passage un célèbre généalogiste arabe d’Espagne, Ibn ‘Abd al-Barr [23], qui vivait au XIe siècle. Nous avons conservé de ce dernier un ouvrage au titre différent [24], qui comporte cependant un texte très proche de celui cité par Ibn Khaldûn. L’auteur localise les Lawâta plus précisément en Tripolitaine, entre Ajdâbiya et Sabratha, situe près de Tripoli et à Waddan deux tribus supplémentaires, les Hawwâra et les Muzâta, et remplace les Nefza par les Nafûsa. La suite est identique, mais sous une forme encore plus confuse [25]. Dans les deux traités, sa perspective est fondamentalement la même : on découvre un tableau complet, et peu critique, des différents modèles généalogiques alors enseignés sur les Berbères, comme le montre d’ailleurs bien le début du paragraphe cité par Ibn Khaldûn : « Une grande diversité d’opinion existe au sujet des origines berbères. Mais la plus probable est celle qui représente ce peuple comme les enfants de Cobt, ou Kibt, fils de Cham… » En fait, comme ce choix l’indique, Ibn ‘Abd al-Barr se souciait surtout à l’époque, à l’instar de son collègue beaucoup plus célèbre Ibn Éazm [26], de rejeter les prétentions de certaines tribus berbères d’Espagne à une origine arabe, en les coupant totalement de la descendance de Sem [27]. Tout en étant conscients de ce contexte, Mattingly et tous les savants modernes qui l’ont précédé ont cependant estimé qu’il n’y avait pas, dans le texte, qu’un mythe et une chronologie biblico-coraniques. « Si peu réalistes que soient ces généalogies, dit l’historien britannique, elles sont solides sur un point, la migration. » Et nous avons vu qu’il n’hésite pas alors à parler de tradition orale (process of verbal transmission) et de témoignage historique (historical evidence) applicables à l’Antiquité tardive. Son raisonnement et sa méthode se reconstituent aisément : partant du fait que le texte donne des noms de tribus connues au Moyen Âge, Mattingly s’estime fondé à y distinguer deux parties, l’une purement mythique, l’autre historique, issue de traditions orales. Or, cette démarche n’est pas nouvelle. Elle était même très répandue il y a un siècle, et relève, pourrait-on dire, d’un positivisme à l’état brut. Tauxier, pour le même texte, l’avait exprimée d’une manière parfaite : À défaut des Arabes, la science moderne a le droit de reconnaître l’erreur et de scinder hardiment ces pseudo-traditions en deux parts, savoir la partie antique, dont nous n’avons pas à tenir compte ici puisqu’elle se rapporte au peuplement primitif de l’Afrique, et la partie moderne, celle qui se rapporte au temps des Romains, et que nous allons maintenant étudier à part…  [28] Tout était déjà dit, ou plutôt postulé, comme chez tous les successeurs de Tauxier. Car comment ne pas parler de postulat devant une démarche qui consiste à émettre sur un texte une conclusion à caractère critique sans l’avoir fait précéder d’une véritable étude critique ? Quel savant oserait, s’il avait à commenter un texte mythique grec ou romain, procéder ainsi ? Toute une série de précautions méthodologiques apparaîtraient alors d’une nécessité évidente, à commencer par une vérification des traductions, une étude du contexte, des sources, de la structure du récit, et aussi de sa fonction en tant que mythe. Mais on a ici l’impression que, comme souvent dans l’historiographie européenne de l’Afrique du Nord, face à un texte arabe tout cela deviendrait superflu : l’archéologue ou l’antiquaire semble se précipiter sur les bouts de phrase qui viendront étayer son propos, en négligeant toutes les règles qu’il se fait fort d’appliquer lorsqu’il analyse un mur romain ou un poème grec. Que cette attitude soit le reflet d’une abdication devant les difficultés d’une discipline méconnue, ou qu’elle traduise un présupposé idéologique, rien bien évidemment ne justifie une telle désinvolture vis-à-vis de la méthode critique, d’autant plus que si l’on revient à celle-ci, il est aisé de voir combien tout ce qui a pu être écrit s’avère alors d’une incroyable fragilité. Commençons, en l’occurrence, par la traduction et l’analyse de la construction du texte d’Ibn Khaldûn. D. J. Mattingly et ses prédécesseurs étaient surtout intéressés par la mention d’un mouvement « vers Kairouan et au-delà ». Si les Lawâta s’étaient arrêtés en Tripolitaine, le texte n’avait en effet plus grand intérêt, puisque la tribu menaçait déjà au IVe siècle les cités de cette région [29]. D’où l’importance de l’expression Ils s’avancèrent, reliée, sur la seule foi de la traduction De Slane, aux noms des Lawâta et des Nafza. Malheureusement, le pronom « ils » traduit en français un pronom personnel arabe fort imprécis, qui ne se rapporte pas nécessairement à l’antécédent immédiat [30]. Et en l’occurrence, il suffit de regarder la suite du texte pour comprendre même qu’une telle lecture serait absurde : « Ils s’avancèrent… Ces populations étaient des Sanhâdja », etc. : le pronom ils en question s’applique vraisemblablement au sujet du début du texte arabe, les Berbères en général, les petits-fils de Cham. Le texte raconte la migration du peuple berbère dans son ensemble. Un groupe s’est arrêté en route, les Lawâta ; les autres ont continué, et leur nom est aussitôt donné. Il faut d’ailleurs remarquer la gêne manifeste que devait ressentir l’historien britannique devant ce passage. On note en effet qu’il écrit, pour en citer la fin : « The tribe eventually reached Kairouan and beyond. » La formule est imprécise, mais nécessaire : en effet, à suivre son interprétation du pronom personnel ils, il aurait fallu, en fonction de la lettre du texte arabe, admettre dès l’Antiquité une présence des Lawâta jusqu’au Maroc (Tanger) et même au sud marocain (Sidjilmassa et le Sous el Acsa), ce qui, même pour les plus enthousiastes partisans de la théorie des migrations, paraît quelque peu excessif… Cette simple relecture littéraire du texte suffirait, on le constate, à ruiner la signification qu’on lui a prêtée dans le cas des fameux Lawâta. Mais il y a bien plus à dire sur la méthode employée. C’est en effet le principe même du découpage en une partie mythique et une partie historique qu’il faut radicalement remettre en question. Car le récit présente en lui-même une cohérence et une fonctionnalité parfaites, où on ne voit aucune rupture. Du début à la fin, le but du mythe est d’expliquer l’origine de l’ensemble des Berbères, et pas seulement au sens généalogique. Ses détails ethnographiques et géographiques montrent qu’il entend aussi expliquer l’origine de leur fragmentation tribale, et celle de leur émiettement territorial sur le Maghreb. Partant du peuple dans sa globalité, il décrit donc par un schéma migratoire une succession d’arrêts, dans lequel les Lawâta ne sont qu’un élément parmi d’autres. La meilleure preuve en est d’ailleurs qu’il s’achève avec une liste de tribus effectivement marocaines, et qui n’ont aucun rapport avec les Lawâta : les Ketama (Kutâma) cités ici sont vraisemblablement ceux connus au Moyen Âge au sud de Tanger ; les Dokkala étaient à la même époque installés au nord-ouest de Marrakech ; les Fetouaka et les Meztaoua vivaient au sud-est de cette ville. Quant aux derniers, les célèbres Sanhâdja, ils formaient au début de l’islam la plus grande tribu du Sud marocain, celle d’où sortirent au XIIe siècle les Almoravides [31]. Leur mention suffirait seule à ruiner les raisonnements évoqués précédemment, puisqu’ils sont toujours définis par Ibn Khaldûn, et quasiment tous les auteurs arabes, comme un élément éminent des Berbères du groupe Branès, c’est-à-dire dans la classification de G. Camps implicitement admise par D. Mattingly des Paléoberbères [32], donc théoriquement des gens non issus du désert libyen… Reste quand même, pourrait-on objecter, l’idée même de migration, et la mention qui lui est associée de peuples historiquement attestés dans l’Antiquité tardive, comme les Lawâta/Laguatan. À défaut de justifier une coupure, ne serait-il pas alors possible de retrouver au moins un fond de « tradition orale » tardoantique (comme l’écrit Mattingly), non pas isolée, mais noyée dans le mythe et cachée par lui ? Cette idée est certainement à la base de beaucoup des exploitations modernes qui ont été faites du texte d’Ibn Khaldûn. Malheureusement, l’admettre reviendrait en fait à oublier complètement les sources littéraires du modèle de récit que nous ont transmis les Arabes. Car ce n’est pas seulement la référence à Cham qu’ils ont empruntée aux juifs et aux chrétiens, mais toute la construction du mythe, comme un abondant corpus de textes grecs et romains le démontre amplement. Ainsi, d’abord Flavius Josèphe au Ier siècle : glosant sur le fameux chapitre X de la Genèse, l’historien juif ajoute des précisions géographiques inédites au sort des fils et petits-fils de Cham. Put, dans le nom duquel on retrouvait jusque-là, semble-t-il, les pays du sud de l’Égypte (Pount), devient chez lui un Africain de l’Ouest : Put fonda la Libye et nomma les habitants d’après lui Putiens ; il y a aussi un fleuve en Maurétanie qui porte ce nom… De même, Kush eut parmi ses enfants Havila qui donna son nom aux Haviléens, les Gétules d’aujourd’hui. Quant à la descendance de Misraïm l’Égyptien, elle ne tarda pas non plus à s’occuper de l’Afrique, jusque-là appelée Putie : ce pays a changé de nom : celui qu’il a aujourd’hui vient d’un des fils de Misraïm, Lahab (Libys) [33]. Certains de ces détails résultent manifestement des rapprochements onomastiques hasardeux chers aux savants grecs de l’époque hellénistique : on connaissait ainsi effectivement au Maroc un fleuve Fut, l’oued Tensift actuel, proche de Marrakech, cité par Pline l’Ancien [34], et dont le nom a donc servi à éclairer le destin du plus obscur des fils de Cham. De même, alors que la Genèse ne disait rien de Lehab, une vague ressemblance phonologique a conduit un prédécesseur de Josèphe à en faire l’éponyme de la Libya, c’est-à-dire pour un Grec de ce temps l’Afrique tout entière. Peut-être, mais la logique du rapprochement nous échappe un peu ici, proposa-t-on aussi sur le même principe d’unir Hévila (Havila dans la Genèse) aux Gétules, le grand peuple berbère des confins sahariens, déjà cité vers 100 avant J.-C. par Artémidore d’Éphèse, et plus tard longuement évoqué par Salluste [35]. Certes, Josèphe n’associe pas encore explicitement un récit de migration à ces gloses étymologico-géographiques, mais l’idée est néanmoins implicite puisque l’historien juif savait, comme l’enseignait la Bible, que le pays primitif de Noé et de ses fils était le Proche-Orient, et elle est presque évidente lorsqu’il fait d’un des fils de Misraïm l’éponyme de la Libya. Après Flavius Josèphe, tant chez les savants juifs [36] que chrétiens, le besoin d’expliquer la diversité des peuples et de leurs langues conduisit à des spéculations beaucoup plus élaborées, dont l’aboutissement, après peut-être l’œuvre de Jules Africain, fut vers 235 la Chronique de saint Hippolyte. Si l’original de ce texte est perdu, nous le connaissons néanmoins assez bien par des fragments grecs et une version arménienne, et surtout par une série de traductions latines dont la plus complète est le Liber Generationis I, rédigé dans la deuxième moitié du IVe siècle [37]. Or, ce n’est plus seulement l’origine des grandes subdivisions de l’Afrique qui est désormais expliquée dans ces écrits, mais clairement aussi celle des tribus indigènes : [Parmi] les fils de Cham, [on compte] Chus, de qui sont nés les Éthiopiens, Mestraim de qui sont nés les Égyptiens, Fud, de qui sont nés les Troglodites, Chanaan, de qui sont nés les Africains et les Phéniciens… L’Habitat de ces enfants de Cham s’étend de Rinocuris (en Égypte) à Gadira (Gadès) vers le midi. Et de ceux-ci naquirent les peuples suivants : les Éthiopiens, les Troglodites…, les Égyptiens, les Phéniciens, les Libyens, les Marmarides, les Maures, les Numides, les Macrones, les Nasamons. Ils possèdent les terres de l’Égypte jusqu’à l’Océan. Voici les noms de leurs provinces : l’Égypte, l’Éthiopie…, la Libye qui s’étend jusqu’à Cyrène, la Marmaride, les Syrtes, qui ont ces peuples : les Nasamons, les Maces, les Tautaméens (?), la Libye qui s’étend de Leptis à la petite Syrte, la Numidie, la Massylie (?), la Maurétanie [38]… Dès le IIIe siècle, la filiation entre Cham et les grandes tribus berbères chère aux auteurs arabes était ainsi énoncée ; déjà aussi on supposait implicitement une migration depuis l’Orient (le pays de Chanaan), et un émiettage tribal de l’Égypte à l’océan Atlantique ; et déjà encore on s’efforçait de rendre le mythe fonctionnel, en l’illustrant de détails géographiques précis, par exemple à propos des Nasamons, une des grandes tribus berbères de l’Antiquité, dont était mentionnée avec exactitude la position dans la Syrte. Autant de similitudes ne peuvent être fortuites, d’autant qu’entre le temps d’Hippolyte et celui de la conquête arabe une longue chaîne de transmission a contribué à la survie et à la diffusion du mythe. Il a été, en effet, sans cesse recopié à partir du IIIe siècle et, en particulier en Orient, jusqu’au Moyen Âge. Parmi une abondante série, rappelons simplement ici la version d’un auteur très tardif (VIIe siècle ?), Anastase le Sinaïte, ou le pseudo-Anastase, un des maillons probables par lequel la tradition est passée sans difficulté chez les Arabes : Cham, le second fils de Noé, donna à ses fils le pays de Rinokouros à Gadira… Les fils de Cham furent Chus, de qui naquirent les Éthiopiens…, Metrian, de qui naquirent les Égyptiens, Foud, de qui naquirent les Libyens Futaei, Canaan, de qui naquirent les Cananéens, Sabba, de qui naquirent les Sabéens…, Évilat de qui naquirent les Gétules. De Cham [sont issus] trente-deux fils et petits-fils, jusqu’au partage des langues, les Éthiopiens, les Troglodytes…, les Égyptiens, les Phéniciens, les Marmarides…, les Psylles…, les Syrtites, les Leptimagnésiens [ !], les Maures, les Numides, les Africains, les Byzacéniens, les Nasamons… qui s’étendent de l’Égypte jusqu’à l’Océan [39]. Ce texte combine curieusement des détails donnés par Flavius Josèphe et négligés par Hippolyte (ainsi pour l’origine des Gétules), et la liste ethnographique de ce dernier auteur. Sa leçon reste cependant identique pour l’essentiel. Or comment ne pas percevoir sa parenté avec les récits d’Ibn ‘Abd al-Barr et d’Ibn Khaldûn ? On retrouve dans les uns et les autres la même référence généalogique biblique, rattachant à Cham les Maures, Numides, et autres Nasamons dans un cas, les « Berbères » dans l’autre. L’intermédiaire pour les Arabes est Copt, dans leur langue l’éponyme des Égyptiens : mais on reconnaît aisément derrière cette traduction au goût du jour le Misraïm de Josèphe (devenu pour les Arabes le père de Copt) [40], lui aussi à son époque éponyme de la même région [41], et en même temps père de Lahab, ancêtre des Africains. Implicitement sous-entendue dans un cas ( « Cham donna à ses fils le pays de Rinokouros à Gadira » ), explicitement exprimée dans l’autre, l’idée d’une migration est également présente dans les récits judéo-chrétiens et dans les légendes arabo-berbères ; et chez Anastase comme chez Ibn ‘Abd al-Barr, c’est aussi un mode de construction du mythe tout à fait analogue qui réapparaît, avec les mêmes limites géographiques (de l’Égypte jusqu’à l’Océan), et la même tendance parfois, à propos d’un nom, à spécifier l’emplacement exact d’une tribu (les Nasamons dans la Syrte, les Lawâta sur le territoire de Tripoli). La seule différence réellement notable se trouve dans les noms des tribus et leur localisation : il n’y a plus de Nasamons, mais des Lawâta, et Syrte a disparu au profit de Tarâbulus (Tripoli). Ce changement s’explique, cependant, de manière simple, par la nature même de ces textes. La version arabe exprime en effet seulement un banal phénomène d’actualisation du mythe, actualisation nécessaire pour qu’il soit fonctionnel et qu’il remplisse sa mission pédagogique : le mythe médiéval devait expliquer, comme sa version judéo-chrétienne, comment les Berbères se rattachaient à Noé, pourquoi ils étaient partagés en tribus, et pourquoi ces tribus se trouvaient à tel ou tel endroit. Pour cela, il devait nécessairement s’appuyer sur l’ethnographie et la géographie tribales de son temps, sinon il n’aurait eu aucun intérêt. Dès lors, si dans une démarche positiviste on veut extraire des informations précises de ce texte, de véritables realia, ce ne peut être que des informations de type géo-ethnographique. Ce que le mythe pourrait nous apprendre, c’est la position des tribus berbères au moment où il a été recomposé, c’est à dire au mieux à la fin du VIIe siècle… Or, si on admet cette hypothèse dans le cas des fameux Lawâta, le texte est très clair : ces gens étaient alors toujours sur l’actuel territoire libyen, ce que confirment d’ailleurs de très nombreuses autres sources arabes habituellement négligées par les partisans de la théorie des migrations [42]. Le texte d’Ibn ‘Abd al-Barr, repris par Ibn Khaldûn n’est cependant, dans la littérature arabe, qu’un récit de l’histoire des origines berbères parmi un grand nombre d’autres [43]. Or, malgré leur diversité, les autres versions reprennent toutes le schéma migratoire, avec souvent les mêmes exemples de tribus. Les différences portent surtout sur le nom de l’ancêtre des Berbères, et sur les causes du départ de ses enfants vers le Maghreb. Un texte très ancien, attribué à Ibn al-Kalbî (mort en 819 ou 821) résume bien, en quelques lignes, ces divergences [44] : On n’est point d’accord sur le nom de celui qui éloigna les Berbères de Syrie. Les uns disent que ce fut David qui les en chassa après avoir reçu par une révélation divine l’ordre suivant : « Oh David ! Fais sortir les Berbères de la Syrie car ils sont la lèpre du pays. » D’autres veulent que ce soit Josué, fils de Noun, ou bien Ifricos, ou bien encore un des rois Tobba qui les en expulsa. Parmi ces explications mythiques alternatives, la dernière est propre à l’époque médiévale et n’a jamais d’ailleurs été invoquée par les partisans de la théorie des migrations. Les Tobba (Tubba’) étaient en effet des rois légendaires du Yemen auxquels certaines tribus berbères, notamment les Sanhâdja du Maroc et les Kutâma de Petite Kabylie, tentèrent dès au moins le début du IXe siècle de se raccrocher pour revendiquer une origine arabe, jugée plus noble [45]. Ces prétentions furent souvent discutées par les généalogistes arabes et Ibn Khaldûn les évoque à plusieurs reprises [46]. En revanche, les trois autres ont une histoire beaucoup plus complexe. Dans la seconde hypothèse envisagée par Ibn al-Kalbî, les Berbères sont encore assimilés à des gens originaires du Proche-Orient (la Syrie), mais leur migration vers le Maghreb est présentée comme la conséquence des victoires de Josué. Ibn Khaldûn, dans un autre passage où il semble s’appuyer sur une source différente d’Ibn al.Kalbî, évoque aussi le même personnage en l’associant à un éponyme nouveau, sur lequel nous reviendrons : Ifrîkush, fils de Kays… C’est lui… qui amena les Berbères du pays de Canaan puisqu’il a traversé ce pays au moment où ils furent battus et massacrés par Yûsha’ (Josué) [47]. Ce schéma unissant les Berbères à Canaan et à la conquête de Josué est absent de la Chronique d’Hippolyte. Pour autant, il est malheureusement impossible de retrouver là une tradition originale qui pourrait combiner légende et souvenirs authentiques d’une migration tardoantique réelle. Les récits des savants arabes nous renvoient en effet à une des légendes anciennes les plus fameuses sur l’origine des Berbères, insérée notamment dans la Guerre vandale de Procope : Nous devons remonter dans le temps et parler de l’origine des populations maures venues s’établir en Libye, et de la manière dont elles se sont installées dans ces régions. Après que les Hébreux eurent quitté l’Égypte et furent arrivés aux frontières de la Palestine, le sage Moïse, qui les avait guidés, mourut. Il eut alors comme successeur, pour les diriger, Jèsous, fils de Navès, qui amena ce peuple en Palestine et qui, après avoir accompli des prouesses guerrières supérieures aux capacités naturelles des hommes, prit possession de ce pays. (…) La région était habitée par des tribus très populeuses : les Gergéséens, les Jébuséens et d’autres… Quand ces populations eurent vu le prodige d’invincibilité qu’était ce général étranger, elles abandonnèrent les séjours traditionnels de leurs ancêtres et gagnèrent l’Égypte voisine. Mais là elles ne trouvèrent pas de terres suffisamment vastes pour leur permettre de s’installer… Elles se dirigèrent donc vers la Libye, y fondèrent une foule de cités, occupèrent la totalité de ce pays jusqu’aux colonnes d’Héraklès. [Suit la description d’une inscription à Tigisis disant, en phénicien, « Nous sommes les gens qui ont fui la face de Jèsous, le brigand, fils de Navès »]… Plus tard, tous les gens qui, avec Didon, quittèrent la Phénicie vinrent aussi rejoindre les habitants de la Libye, qu’ils considéraient comme apparentés à eux, et ces derniers leur donnèrent leur plein accord pour qu’ils fondassent Carthage et l’occupassent. Mais au fil des temps la puissance de Carthage s’accrut, et la cité devint extrêmement populeuse. Un combat l’opposa alors à ses voisins, ceux qui auparavant, comme on l’a dit, étaient venus de Palestine et portent présentement le nom de Maures [48]… Dans ce récit, qui date du milieu du VIe siècle, à part le nom essentiel qui a été logiquement actualisé (les Maurousioi sont devenus les Berbères), la structure mythique est fondamentalement identique au schéma arabe : les Maures ont été chassés de Canaan par Josué, ils ont effectué une migration de l’Égypte jusqu’aux colonnes d’Hercule (c’est-à-dire, disent les Arabes, jusqu’à l’ « Océan vert »), et naturellement sur leur route ils ont essaimé : pour Procope en fondant « une foule de cités », pour les Arabes probablement « une foule de tribus ». Cependant, Procope écrivait encore au moins près de trois cents ans après le début supposé de la migration des Laguatan, soit un écart chronologique guère plus ample que celui qui séparerait certains textes arabes des étapes ultérieures de cette « migration ». La question de ses sources se pose donc, même si personne n’a songé à faire subir à l’historien grec le traitement infligé aux savants musulmans. Mais, elle a été heureusement éclaircie jadis par une remarquable étude de L. Gernet [49], et dans un sens qui ruine à nouveau toute tentation positiviste : la digression de l’historien grec s’appuie en effet sur des traditions judéo-chrétiennes fort anciennes. Elle a pour principale originalité de faire des Maures, les futurs Berbères du Moyen Âge, des descendants des tribus cananéennes (Gergéséens et Jébuséens) expulsées par Josué. Or, cette parenté était une idée chère à la littérature juive depuis longtemps. Elle était ainsi déjà implicite dans le Livre des Jubilés, un des écrits pseudépigraphes de l’Ancien Testament où Canaan, fils de Cham, se voyait attribuer une bonne partie sinon la totalité de l’Afrique du Nord [50]. On la retrouvait surtout dans le Talmud. D’abord dans un passage étonnant où est racontée une démarche des Africains auprès d’Alexandre le Grand pour réclamer contre les Juifs la Palestine au nom de leur ancêtre Canaan. Et surtout, dans un texte aux détails très proches de ceux donnés par Procope : selon le Traité Schebiith en effet, après la mort de Moïse, Josué envoya en Palestine, avant l’entrée des Israélites, trois messages, dans lesquels il était dit : ceux qui voudraient émigrer le pourront ; ceux qui voudraient contracter la paix la concluront ; ceux qui préféreront la guerre seront combattus. Guergessi émigra, montrant ainsi sa confiance envers l’Éternel, et il se rendit en Afrique [52]. Guergessi, ou Girgashi selon une autre version, est l’éponyme des Gergéséens de Procope, et la parenté des deux légendes est ainsi évidente. Manifestement, le mythe est ainsi passé des juifs aux chrétiens dès l’Antiquité. La différence essentielle vient dans la version byzantine du caractère forcé du départ des Cananéens. Mais cette correction était ancienne car elle figure déjà chez Jean d’Antioche [53], et surtout dans de curieuses gloses aux généalogies ethnogéographiques examinées précédemment et qui mettaient en valeur la parenté de Cham et des Africains. Le Liber Generationis I ajoute ainsi à propos des Baléares : Elles furent occupées par les Cananéens fuyant la face de Jésus fils de Navé… Quant aux Jébuséens, également fugitifs, ils fondèrent Gadès [54]. Certes, si ce commentaire reprend manifestement la trame que développera Procope, il ne met pas l’Afrique directement en cause. Mais d’autres versions dérivées de la Chronique d’Hippolyte, aux racines certainement prébyzantines, sont plus explicites. Au début du IXe siècle, Georges le Syncelle interrompt ainsi sa transcription de la généalogie des enfants de Cham, jusque-là fidèle au Liber Generationis, pour ajouter : De Canaan sont issus les Cananéens. Ceux-ci fuirent la face des fils d’Israël et vinrent s’établir à Tripolis en Afrique, car ce pays était du lot de Cham [55]. Et Georges Kédrénos, plus tard (XIe siècle), résume la même tradition : Parmi les enfants de Cham…, Canaan de qui sont issus les Cananéens. Ceux-ci fuirent la face des fils d’Israël et occupèrent Tripoli d’Afrique, attribuée à Cham [56]. Probablement connu aussi de saint Augustin [57], développé du VIe au XIIe siècle par une série d’auteurs byzantins, le mythe de Josué et des Berbères a eu ainsi de multiples moyens de passer aux Arabes, eux-mêmes totalement familiarisés par le Coran [58] avec les personnages bibliques, et il n’y a donc pas à s’étonner de le retrouver chez Ibn al-Kalbî dès le début du IXe siècle. Il existe encore une autre version du mythe, assez proche de la précédente, et qui devint assez vite la plus répandue chez les savants arabes et berbères du Moyen Âge. Ibn al-Kalbî y fait brièvement allusion dans le passage que nous avons cité, en évoquant David recevant de Dieu l’ordre de faire sortir les Berbères de Syrie car ils sont la lèpre du pays ; mais c’est à partir d’Ibn Khurdâdhbah [59], au milieu du IXe siècle, qu’elle est complètement exposée : Les Berbères, domiciliés d’abord en Palestine, obéissaient au roi Djalût (nom arabe de Goliath). Lorsque ce roi fut tué par David, ils émigrèrent vers l’Occident, et arrivés dans le pays de Libye et de Marmarique, ils se disséminèrent… Les Lawâta s’arrêtèrent au pays de Barka, nommé par les Romains Antâbolos, c’est.à.dire « les cinq villes » (la Pentapole de Cyrénaïque). Les Hawwâra vinrent habiter Ayäs ou Tarâbolos, c’est-à-dire « les trois villes » (la Tripolitaine), pays qui appartenait alors aux Romains… À la suite de cette invasion, les Berbères se répandirent ensuite jusqu’au Sous el-Adna, derrière Tanger [60]… Ce récit a subi au début des années 1950 le même sort que celui d’Ibn ‘Abd al-Barr. Un archéologue britannique, D. Oates, frappé par les noms de tribus d’époque médiévale et la mention des Romains, voulut alors aussi le scinder en deux parties, l’une mythique, l’autre issue de traditions orales sur des migrations de l’Antiquité très tardive [61]. En réalité, sa structure mythique est à nouveau parfaitement cohérente, et les quelques détails anachroniques qui le parsèment ne reflètent qu’un travail d’actualisation correspondant à l’époque où il fut recueilli, au moment de la conquête musulmane du Maghreb. Pour le reste, il n’offre qu’une variante aux schémas que nous avons déjà rencontrés. Les Berbères sont toujours originaires du Proche-Orient, mais au lieu d’être de simples descendants de Cham ou des Cananéens, ils sont cette fois assimilés aux Philistins, et c’est David, après la mort de leur chef Goliath, qui les expulse vers l’ouest ; ensuite, la trame est la même, avec une migration de l’Égypte à l’océan et un émiettement tribal. Son originalité est cependant, à la différence des légendes précédentes, d’être apparemment complètement inconnu des sources grecques, latines et juives. Faut-il alors l’identifier à une authentique et spécifique tradition berbère ? Il est beaucoup plus probable qu’il ne s’agisse en réalité que d’une simple adaptation arabe du mythe de Josué. Les victoires de David offraient en effet, tant dans la tradition judéo-chrétienne que coranique, un second exemple d’expulsion de populations palestiniennes, facilement substituable à l’histoire de Josué. Comme pour le reste tout est identique aux autres versions de l’origine des Berbères, la seule et vraie originalité du récit réside donc en fait surtout dans sa mention de Goliath. Or il faut ici s’arrêter sur les détails que donnent les auteurs arabes les plus précis sur ce personnage, et d’abord sur l’œuvre de celui que A. Miquel a surnommé l’ « imam de l’encyclopédisme », al-Mas‘ûdî [62] : ainsi que nous l’avons dit déjà, le pays natal de la race berbère était la Palestine, province qui dépend de la Syrie. Leur roi se nommait Djâlût, titre commun à toute sa dynastie jusqu’au dernier Djâlût qui fut tué par David [63]. Quatre siècles après, en conclusion de son long survol de toutes les traditions sur les origines berbères, Ibn Khaldûn termine sur la même idée : Maintenant le fait réel qui nous dispense de toute hypothèse est ceci : les Berbères sont les enfants de Canaan, fils de Cham, fils de Noé… Leurs frères étaient les Gergéséens… ; et les Philistins étaient leurs parents. Le roi chez eux portait le titre de Djâlût [64]… Goliath, lorsqu’il est relié aux Berbères, est donc d’abord pour les savants arabes un titre royal. D’où vient cette affirmation étonnante totalement inconnue de la Bible comme de toute l’exégèse juive et chrétienne ? La solution a été découverte par De Slane dès 1856, et S. Gsell ne fit, dans une brève note que la répéter [65]. À la base, se trouve un jeu de mots, semblable à ceux qu’affectionnaient les auteurs hellénistiques : le terme berbère ancien, conservé jusqu’aujourd’hui, pour désigner le chef est « agellid », nom formé sur une structure consonantique simple GLD [66]. Or, on sait que dans la langue arabe le « g » berbère ou latin a très souvent été transcrit par le son « dj », tandis que, de manière plus classique, le « d » et le « t » étaient confondus [67]. Dans ces conditions une combinaison GLD pouvait très facilement devenir « Dj.l.t », et agellid donner naissance ainsi à un mot djalut, dans lequel tout lettré arabe, dès le VIIe siècle, pouvait aussitôt reconnaître Djalût, le Goliath biblique. Mais seuls de scrupuleux érudits par la suite tinrent à rappeler que ce nom désignait un titre : pour la majorité des savants, Goliath fut simplement l’ancêtre des Berbères, et comme sa légende se situait dans le contexte de victoires juives entraînant une fuite de peuples vaincus, elle put sans difficulté se greffer sur le vieux mythe de l’expulsion postérieure à la conquête de Canaan par Josué. L’origine juive est donc ici indirecte, mais elle reparaît plus clairement dans d’autres interprétations arabes, plus rares, des origines berbères. Ainsi par exemple pour ce texte beaucoup moins souvent commenté d’Ibn Vutayba, auteur de la fin du IXe siècle [68] : Djâlût (Goliath, dont l’auteur vient de dire qu’il était l’ancêtre des Zenata), était fils de Djâlûd, fils de Bardnâl, fils de Qahtân, fils de Fâris (Fars), personnage connu. [Le même auteur dit que] Djâlût est le fils de Herbal, fils de Bâlud, fils de Dyâl, fils de Bernès, fils de Sefek, celui-ci étant le père de tous les Berbères [69]. Après avoir admis implicitement que Goliath était l’ancêtre des Berbères (et donc probablement aussi la version du mythe fondée sur ce personnage), Ibn Kutayba s’efforce ici d’aller plus loin, en identifiant la souche primitive dont est issu son héros, et il en vient ainsi à mentionner deux détails très insolites. Dans une première version, il remonte jusqu’à un certain Fars. Or, on reconnaît facilement derrière ce nom l’éponyme des Perses dans la littérature arabe, ce qui laisse entendre l’existence d’une parenté entre Perses et Berbères, qui réveille aussitôt, chez l’historien de l’Antiquité, des souvenirs. Dans une digression célèbre de la Guerre de Jugurtha consacrée à l’origine des Maures et des Numides, Salluste écrivait en effet, au Ier siècle avant J.-C. : Après la mort d’Hercule en Espagne, ainsi que le pensent les Africains, son armée, composée de peuples divers, ayant perdu son chef et voyant plusieurs rivaux se disputer le commandement, se débanda bien vite. Les Mèdes, les Perses et les Arméniens passèrent en Afrique et occupèrent les territoires les plus rapprochés de la Méditerranée. Les Perses s’établirent plus près de l’Océan…[Plus tard], la puissance des Perses ne tarda pas à s’accroître, et dans la suite, sous le nom de Numides, en raison de la surpopulation, les jeunes se séparèrent de leurs pères… et s’installèrent dans la région appelée Numidie… [70] La parenté entre les Perses et le plus éminent des groupes berbères du temps de Salluste, les Numides, est probablement à l’origine lointaine du récit d’Ibn Kutayba, à la suite d’un processus de transmission qui est passé par la littérature juive. On retrouve en effet chez Flavius Josèphe, réinsérée dans une perspective biblique, au milieu de nombre de détails des différentes versions du mythe d’origine berbère déjà analysées, cette étrange union d’Hercule et des Berbères : Plus tard, Abraham épousa Qetura, dont il eut six fils…[Parmi ceux-ci, Medân, qui eut cinq fils dont Epher] On dit aussi que cet Epher fit une expédition contre la Libye et s’en empara, et que ses petit-fils l’habitèrent et lui donnèrent le nom d’Africa, d’après son nom. Et en effet Alexandre Polyhistor confirme mes dires, s’exprimant ainsi : Cléodémos le prophète, qui est aussi appelé Malchos, qui a écrit une histoire des Juifs, relate, en accord avec l’histoire de Moïse, leur législateur, que des fils vigoureux naquirent d’Abraham et Qetura : il en nomme trois, Apheras, Souris et Japhras… Japhras et Apheras donnèrent leurs noms à la cité d’Aphra et au pays d’Afrique. En effet, ajoute.t.il, ces hommes furent les auxiliaires d’Hercule quand il combattit contre la Libye et Antée. Et Hercule ayant épousé la fille d’Aphran (un des deux noms cités avant, corrompu par la tradition manuscrite), il engendra un fils, Didôros (Diodore), qui engendra Sophôn, de qui le peuple barbare appelé Sophakes tire son nom [71]. Certes, les Perses ne sont pas explicitement cités ici, mais il est très probable que d’autres mythographes juifs avaient composé une synthèse plus complète de Salluste et de la Bible, et que de là le schéma est passé aux Arabes. On pourrait peut-être expliquer de la même manière la mention encore plus curieuse d’un autre « père de tous les Berbères » cité par Ibn Kutayba, le mystérieux Sefek. Nous venons de voir, en effet, que Flavius Josèphe, ou plutôt Cléodémos avant lui (IIe siècle avant J.-C. ?), mentionne un petit-fils d’Hercule et de la fille d’Aphran (un nom dans lequel on reconnaît le nécessaire ancêtre éponyme de tous les Africains, les Arabes ayant préféré inventer une forme masculine, le fameux Ifrîkush). Ce personnage, descendant à la fois du héros grec et d’Abraham, s’appelait Sophon, et il aurait donné naissance à des Sophakes, cités sous une forme à peine différente par Ptolémée parmi les peuples africains [72]. Le mythe se retrouve avec une légère variante généalogique chez Plutarque, dans une digression à propos du séjour africain de Sertorius, à la fin des années 80 avant J.-C. : Les Tingites (gens de Tanger) racontent qu’après la mort d’Antée, sa femme Tinga eut commerce avec Hercule et que Sophax leur fils régna sur le pays et fonda une ville à laquelle il donna le nom de sa mère. Sophax eut pour fils Diodore, auquel un grand nombre de peuples de Libye se soumirent [73]. Or le nom grec Sophax ou Sophaces est en fait, en arabe, exactement identique, par sa structure consonantique SFK, à la forme Sefek. L’analogie, compte tenu du dossier précédemment constitué, n’est pas sans signification, et elle témoigne probablement à nouveau des multiples formes de transmission des versions gréco-latines et judéo-chrétiennes du mythe d’origine berbère à la littérature arabe [74]. Il n’était pas notre propos d’expliquer ici l’insistance de l’exégèse juive, souvent notée dans les pages qui précèdent, à prêter aux Africains une origine palestinienne ou syrienne et une parenté avec les Hébreux. Le sujet mériterait assurément une nouvelle recherche, qui ferait la part des souvenirs de la colonisation phénicienne (avec le mythe d’Hercule-Melqart), de l’influence des colonies juives tôt implantées au Maghreb, et des fantaisies étymologiques de l’historiographie grecque hellénistique. Notre objectif, plus modeste, était de revenir sur un problème méthodologique auquel ont toujours été confrontés les chercheurs qui s’intéressent aux derniers siècles de l’Afrique romaine : comment utiliser les sources arabes, auxquelles il paraît impossible de ne pas recourir ? Face à une telle question, l’exemple choisi, celui de la théorie des migrations néoberbères, pourra certes sembler caricatural, mais son enseignement nous semble néanmoins rappeler une évidence fondamentale : sans avoir été soumis à de multiples enquêtes préalables, qui tiennent d’abord compte du contexte médiéval, sur leurs sources, leur logique et leurs buts, ces textes ne peuvent être utilisés par les historiens de l’Antiquité. Tout l’essai qui précède démontre combien il serait aventureux de chercher dans les œuvres d’Ibn Khaldûn, d’Ibn ‘Abd al-Hakam, ou d’Ibn ‘Abd al-Barr l’écho de mouvements migratoires réels qui se seraient situés au Bas-Empire ou à l’époque byzantine. Issue d’un genre littéraire spécifique, le récit mythique et généalogique, l’évocation d’un ancien mouvement des Berbères de l’est vers l’ouest, explicitement rapportée à l’ensemble de ce peuple, et non à telle ou telle tribu connue à l’époque byzantine, est toujours repoussée par les auteurs arabes dans des temps extrêmement éloignés, définis par une chronologie biblique (ou coranique, si l’on préfère). Et elle s’avère surtout, dans presque tous les cas connus, reprise de traditions juives ou chrétiennes bien antérieures au Bas-Empire romain, avec seulement des corrections destinées à actualiser le mythe et à le rendre ainsi fonctionnel, capable de fournir des explications aux hommes du Moyen Âge sur la situation des Berbères de leur propre époque. L’historien avide de realia peut trouver dans ces corrections géographiques ou ethnographiques des détails utiles éclairant l’époque à laquelle elles ont été apportées (au mieux la fin du VIIe siècle), mais il ne peut en aucun cas faire du fond du mythe lui-même, c’est-à-dire de l’idée de migration, un fait politique ou démographique de l’Antiquité tardive. Si les phénomènes migratoires sont une réalité du Maghreb préhistorique ou moderne, et s’il serait absurde d’exclure a priori qu’ils aient pu exister dans l’Antiquité tardive, les retenir systématiquement comme modèle explicatif de l’histoire berbère sans véritable démonstration constitue donc, et dans tous les cas, une démarche inadmissible. Que telle ait été pourtant depuis un siècle et demi l’attitude de nombreux et très éminents savants ne peut que susciter la perplexité, et oblige finalement à s’interroger, non évidemment sur les personnes, mais bien plutôt sur les implications idéologiques de la démarche adoptée. Or, en ce domaine, force est de reconnaître que c’est moins le recours au mythe lui-même que l’exploitation de son contenu qui s’avère éclairante, et d’abord cette passion extraordinaire pour le thème de la migration. Qu’il s’applique en particulier aux guerres entre Byzantins et Maures au VIe siècle, ou qu’on élargisse sa portée à tous les conflits où les Berbères furent impliqués, de la Maurétanie du IIIe siècle à la Byzacène du VIIe siècle, le modèle migratoire sous-tend souvent en effet, dans presque tous les travaux où il est invoqué, une thèse générale qui n’est pas nécessairement avouée de manière explicite, mais n’en est pas moins évidente : en rejetant l’origine des difficultés rencontrées par les Romains, les Vandales ou les Byzantins sur des Néoberbères venus de déserts orientaux lointains, il laisse inévitablement supposer en retour la relative tranquillité des populations indigènes « provinciales », donc le succès de la romanisation. Et réapparaît ainsi, en toile de fond de tout ce dossier, la vieille problématique de la réussite ou de l’échec de Rome au Maghreb, qui depuis un siècle et demi n’a jamais cessé d’animer les recherches africanistes, en les enfermant dans des débats essentiellement anachroniques. Le moment où, après une certaine léthargie, la théorie a été brutalement et énergiquement réaffirmée, le début des années 1980, n’est à cet égard certainement pas un hasard : sa résurgence a d’abord répondu à un ouvrage célèbre sur La résistance africaine à la romanisation qui précisément venait de tenter de démontrer la gravité des tensions internes au sein de l’Afrique romaine [75]. Depuis cette époque, la crise actuelle des idéologies semble la laisser totalement maîtresse du terrain. Plutôt que d’attendre un renversement de tendance qui remettrait un jour à la mode la problématique de la résistance, le souhait le plus raisonnable que l’on puisse formuler est que la recherche reprenne très vite les problèmes à leur point de départ, en revenant aux sources, et aussi à certaines de ces règles de saine méthode critique dont les fondateurs de la Revue historique se firent jadis les défenseurs. Yves Modéran Article publié initialement sur cairn.info Yves Modéran, ancien membre de l’École française de Rome, est professeur d’histoire romaine à l’Université de Caen. Après une thèse sur Les Maures et l’Afrique romaine, IVe-VIIe siècle (à paraître prochainement), ses recherches portent sur l’Afrique vandale, le judaïsme berbère dans l’Antiquité, et le christianisme africain. Yves Modéran est décédé le 1 juillet 2010 à Paris NOTES : [1] La date précise de l’événement est parfois discutée, parce que les sources arabes se contredisent entre elles. Il semble néanmoins, notamment d’après des indications précises de la Chronique du Grec Théophane (éd. De Boor, Berlin, 1883, p. 370 = trad. C. Mango, Oxford, Clarendon Press, 1997, p. 516), que la ville, après avoir été perdue en 697, fut reconquise quelques mois par les Byzantins, avant une chute définitive en 698 (voir encore sur ces événements Charles Diehl, L’Afrique byzantine, Paris, 1896, p. 583-585). L’étude précise de la conquête arabe de l’Afrique byzantine reste à faire, à partir d’un inventaire exhaustif et d’une étude critique des sources, sur le modèle donné naguère par H. Slim pour le premier raid (en 647-648) sur la Byzacène (dans Roger Guéry, Cécile Morrisson, Hédi Slim, Recherches archéologiques franco-tunisiennes à Rougga, III. Le trésor de monnaies d’or byzantines, École française de Rome, Palais Farnèse, 1982, p. 76-94). [2] Citons à titre d’exemples parmi une longue liste, le vieux livre de Dureau de La Malle, Recherches sur la partie de l’Afrique septentrionale connue sous le nom de Régence d’Alger et sur l’administration et la colonisation de ce pays à l’époque romaine, Paris, 1835, l’article de Christian Courtois, De Rome à l’Islam, Revue africaine, t. 86, 1942, p. 24-55, et plus près de nous un fameux article de Charles-Emmanuel Dufourcq dans cette même revue : Berbérie et Ibérie médiévales : un problème de rupture, Revue historique, CCXL, 1968, p. 293-324. [3] De même que les succès de Rome au Haut-Empire pouvaient, croyait-on, servir de modèle à l’expérience française, les causes de ce qu’on appelait son échec devaient livrer des enseignements sur ce qu’il ne fallait pas faire. [4] L’expression, forgée par Jean Amrouche (L’éternel Jugurtha. Propositions sur le génie africain, L’Arche, XII, 1946, p. 58-70) fut reprise et popularisée par Christian Courtois (Les Vandales et l’Afrique, Paris, AMG, 1955) qui, par une formule devenue célèbre, exprima le mieux aussi la thèse ici résumée : « [En Afrique] la civilisation romaine s’était répandue à la manière des eaux. Elle avait envahi les plaines sans recouvrir les montagnes » (ibid., p. 113). [5] Henri Tauxier, Études sur les migrations des tribus berbères avant l’islamisme, Revue africaine, t. 6, 1862, p. 353-363 et p. 441-461, et t. 7, 1863, p. 24-35. Nous consacrons une longue étude aux œuvres de Tauxier et aux origines de sa théorie dans la thèse citée infra, n. 15. [6] J. Mesnage, Le christianisme en Afrique. Déclin et extinction, Alger-Paris, 1915 ; Nahum Schloutz, Judéo-Hellènes et Judéo-Berbères. Recherches sur les origines des Juifs et du judaïsme en Afrique, Paris, 1909. [7] Voir les grandes synthèses de ces savants : Stéphane Gsell, Histoire ancienne de l’Afrique du Nord, notamment les tomes 1 (Paris, 1913) et V (Paris, 1927) ; Charles Diehl, L’Afrique byzantine, Paris, Ernest Leroux, 1896 ; Georges Marçais, La Berbérie musulmane et l’Orient au Moyen Âge, Paris, Aubier, 1946. [8] Émile-Félix Gautier, Les siècles obscurs du Maghreb, Paris, Payot, 1927. L’ouvrage fut ensuite, jusqu’aux années 1960, souvent réédité, y compris en édition de poche, sous le titre Le passé de l’Afrique du Nord. Les siècles obscurs. [9] William Marçais, compte rendu du livre de Gautier, Revue critique d’histoire et de littérature, 1929, p. 255-270. [10] Marcel Simon, Le judaïsme berbère dans l’Afrique ancienne, article de 1946 repris dans Recherches d’histoire judéo-chrétienne, Paris, 1962, p. 30-87 ; Christian Courtois, Les Vandales…, op. cit. [11] Gabriel Camps, Berbères. Aux marges de l’histoire, Toulouse, Éditions des Hespérides, 1980, surtout p. 124-125 ; David J. Mattingly, The Laguatan, a Libyan Tribal Confederation in Late Roman Empire, Libyan Studies, 1983, p. 96-108. [12] Cf. Maurice Euzennat, Les troubles de Maurétanie, CRAI, 1984, p. 372-391, avec les compléments de François Chamoux, p. 392. [13] Le premier nom est donné par le poète Corippus dans sa Johannide (composée au début des années 550), le second par les sources arabes. Il s’agit du même groupe tribal, comme l’a en particulier montré Johannes Partsch dans son introduction à l’édition MGH de la Johannide (Berlin, 1879, p. XII). [14] David J. Mattingly, très attaché au premier aspect (le mouvement migratoire), est en revanche beaucoup plus nuancé et prudent sur les deux autres points de la théorie. Cf. son récent ouvrage, Tripolitania, Londres, Batsford, 1995. [15] L’étude critique de cette théorie a fait l’objet d’une grande partie d’un livre à paraître prochainement (Yves Modéran, Les Maures et l’Afrique romaine, IVe-VIIe siècle, BEFAR, Rome) dans laquelle une enquête spécifique consacrée à l’histoire des tribus berbères du IVe au VIIe siècle, jamais menée jusqu’à présent, permet de remettre en cause l’existence d’une grande migration d’est en ouest dans l’Antiquité tardive. Si on peut retrouver indiscutablement des traces d’importants et durables mouvements vers l’ouest de certaines tribus libyennes, c’est seulement à partir de la fin du VIIe siècle, à partir de la conquête arabe, et en grande partie à cause de celle-ci, parce que ces tribus, les premières rencontrées par les Arabes, furent les premières converties et qu’elles jouèrent un rôle décisif dans la deuxième phase des opérations militaires de la conquête. Mais auparavant, et en particulier dans le cas de la fameuse Confédération des Laguatan, tous les documents démontrent au contraire l’absence totale d’une grande migration. Ce groupe était certes loin d’être stable, et il effectua même d’importants déplacements au Bas-Empire, de l’intérieur du désert libyen vers les plaines et plateaux cultivés de Tripolitaine et de Cyrénaïque ; mais, sauf à un moment précis, dans les années 543-548, il n’existe, jusqu’à la conquête musulmane, aucun indice probant de sa pénétration dans la Tunisie ou l’Algérie actuelles. Les sources grecques comme les textes arabes montrent de manière évidente que les Lawâta, au VIIe siècle, circulaient toujours entre Cyrénaïque et Tripolitaine, la première région étant désormais largement sous leur contrôle. [16] Cf. sur ces questions le livre de Gabriel Camps cité supra, n. 11, et nos analyses dans l’ouvrage annoncé à la note précédente. [17] Ibn Khaldûn (1332-1406), né à Tunis, exerça de multiples responsabilités politiques et administratives au service des différents États maghrébins de son époque, avant de rédiger son Livre des exemples (ou des « enseignements »), dont les parties les plus connues sont l’introduction (al.Mukaddima, terme qu’on traduit souvent par Prolégomènes) et les livres VI et VII, consacrés à l’histoire des Berbères. Cf. sur l’auteur la notice de M. Talbi dans Encyclopédie de l’Islam, 2e éd. (désormais abrégée EI2), t. III, Leyde-Paris, 1971, p. 849-855. [18] Ibn Khaldoun (sic), Histoire des Berbères, 4 vol., Paris, 1852-1856, rééd. Paul Casanova, Paris, 1925-1969. [19] Article cité supra, n. 11. Le raisonnement est repris et résumé dans la très belle synthèse dans laquelle ce savant a livré les résultats de plus d’une décennie de recherches historiques et archéologiques sur la Libye antique : David J. Mattingly, op. cit., n. 14, notamment p. 173-180. [20] David J. Mattingly, The Laguatan…, Libyan Studies, 14, 1983, p. 102. [21] Ibn Khaldoun (sic), Histoire des Berbères, trad. Mac Guckin de Slane (1852-1856), nouv. éd. par Paul Casanova, t. 1, Paris, 1925, p. 181-182. [22] Dès le début du chapitre, consacré aux thèses des « hommes versés dans la science des généalogies » (p. 168 de l’édition citée), Ibn Khaldûn juxtapose les théories les plus diverses sur les origines berbères, avant ensuite d’en dénoncer lui-même la fausseté… (ibid., p. 182). [23] Abû ‘Umar Ibn ‘Abd al-Barr, né à Cordoue en 978 et mort en 1070, fut un des grands traditionnistes de l’Espagne musulmane. Il composa une importante série d’ouvrages : outre le ou les traité(s) de généalogie cité(s) ici, les plus notables sont un recueil de biographies de Compagnons du Prophète et un manuel de droit mâlikite. Voir Charles Pellat dans EI2, t. 3, 1971, p. 695-696. [24] Une traduction française de ce traité sous le titre Le dessein et le projet de faire connaître les origines des races arabes et étrangères a été donnée par Abdallah Mahdjoub dans la Revue africaine, 99, 1955, p. 71-112, et 101, 1957, p. 45-84. [25] Parmi les Berbères, on compte les Luwâta dans le territoire d’Ajdâbiya et de Sabratha, les Muzâta qui s’installèrent dans le territoire de Waddan, les Hawwâra qui se fixèrent dans la région de Tripoli : un groupe, les Nafûsa s’établit à l’ouest de Tripoli : par la suite, ces Nafûsa prirent des routes différentes pour aller à Kairouan et aux pays qui sont au-delà de cette ville ; parmi eux, les Qarqachâna (? ?) et autres tribus ; ils se rendirent à Tahart, à Tanger et à Sijilmâsa. On compte aussi parmi la postérité de Barbar les Kutâma et les Sanhâdja (trad. Mahdjoub, Revue africaine, t. 101, 1957, p. 47). Le traducteur interprète le texte en écrivant ces Nafûsa, mais ses notes montrent que le texte arabe comporte seulement en fait une série de pronoms personnels comme dans la citation d’Ibn Khaldûn (cf. infra, n. 29). [26] Ibn Éazm, né à Cordoue en 994 et mort en 1064, est le plus célèbre des généalogistes arabes d’Espagne, mais il a laissé aussi une volumineuse œuvre de poète, de juriste, d’historien, de philosophe et de théologien. Son traité généalogique, le Kitâb Djamharat ansâb al-‘arab (éd. Lévi-Provençal, Le Caire, 1948), était considéré par Ibn Khaldûn comme l’ouvrage le plus sûr en la matière. Sur l’auteur, voir la notice de R. Arnaldez, dans EI2, t. 3, 1971, p. 813-822. [27] Sur ces polémiques, voir l’article de Maya Shatzmiller, Le mythe d’origine berbère. Aspects historiographiques et sociaux, Revue de l’Occident musulman et de la Méditerranée, 35, 1983, 1, p. 145-156. [28] Henri Tauxier, Une émigration arabe en Afrique un siècle après Jésus-Christ, Revue africaine, 24, 1880, p. 377-378 [Le titre témoigne de l’évolution de la pensée de Tauxier sur la migration des Lawâta...]. [29] On peut considérer en effet que les Austuriani, qui selon Ammien Marcellin (Histoire, XXVIII, 6) attaquèrent la Tripolitaine au moins à trois reprises entre 363 et 367, étaient une fraction ou une tribu jumelle des Laguatan (cf. sur cette association Corippus, Johannide, II, 87-97 et 109-112). [30] Voir le texte arabe, Kitâb al-‘Ibar, liv. VI, édition de Beyrouth, Dâr al-Kitâb al-Lubnâni, t. XI, 1981, p. 188-189. Déjà Abdallah Mahdjoub, dans sa traduction du traité conservé d’Ibn ‘Abd al-Barr (supra, n. 24), avait constaté cette difficulté en notant : « L’emploi réitéré de pronoms personnels dans ce passage rend le texte assez obscur. » Après avoir revu le texte, un collègue arabisant nous a confirmé que le lien du pronom avec un antécédent à valeur plus large et situé plus en arrière était parfaitement possible, et qu’en l’occurrence il s’imposait vraisemblablement ici. [31] Pour l’identification et la localisation de ces différentes tribus, cf. Ibn Khaldûn, trad. De Slane, t. 2, p. 116-121, et l’essai de cartographie des tribus d’après cet auteur donné par G. Marçais, Les Arabes en Berbérie du XIe au XIVe siècle, Paris, 1913, carte in fine. [32] Sur cette équivalence Branès/Paléoberbères, voir G. Camps, Branès, dans Encyclopédie berbère, t. XI, Aix, 1992, Edisud, p. 1609-1610. [33] Flavius Josèphe, Antiquités juives, I, 132-134 (éd. E. Nodet, t. 1, Paris, Cerf, 1990, p. 22). [34] Pline l’Ancien, V, 13 (éd. Jehan Desanges, CUF, Paris, Les Belles Lettres, 1980) : Indigenae tamen tradunt… mox amnem, quem vocant Fut… [35] Artémidore d’Éphèse (vers 100 av. J.-C.), cité par Stéphane de Byzance, Ethnika, éd. Meineke, p. 195 ; Salluste, Guerre de Jugurtha, XVIII, 1, et LXXX, 1 : cf. l’article de Jehan Desanges, Gétules, dans Encyclopédie berbère, t. 20, 1998, p. 3063-3065. [36] Pour les juifs, cf. notamment le Targum « neofiti » et le Targum du pseudo-Jonathan ben Uziel, textes du Haut-Empire, qui situent dans la descendance de Cham les Libyens et Zingéens, fils de Mauritanos, et associent les Libyens et les Maures à Put (cf. éd. Nodet de Flavius Josèphe citée supra, n. 33, t. II, trad., p. 33, n. 8). [37] Cf. désormais sur ces textes, Hervé Inglebert, Les Romains chrétiens et l’histoire de Rome, Paris, 1995, p. 63-67, 191-195, et 599-604. [38] Liber Generationis I, 94-88, 130-133, 138-149 (éd. Mommsen, MGH, a.a., t. IX, p. 99-101) : Filii autem Cham : Chus, ex quo Aethiopes ; Mestraim, ex quo Aegyptii ; Fud, de quo Trogloditae ; Chanaan, de quo Afri et Fenices (…) Est autem habitatio eorum a Rinocoruris usque Gadiram ad notum. Ex his nascuntur gentes hae : Aethiopes, Trogloditae, Aegyptii, Fenices, Lybyes, Marmaredae…, Maurosii… Numidiae, Macrones, Nasomones. Hi possident ab Aegypto usque ad Oceanum. […] Nomina autem [provinciarum eorum] haec sunt : Aegyptus, Ethiopia…, Libyae quae extendit usque Cyrenen, Marmaris, Syrtes habens gentes has : Nasamonas, Macas, Tautameos, Libyae quae a Lepti extendit usque minorem Syrtem, Numidia, Masseria, Mauritania… [39] Anastase le Sinaïte ( ?), Quaestiones, éd. Migne, Patrologie grecque, t. 89, c. 557-560. [40] Cf. Al-Mas‘ûdî, Les prairies d’or, trad. Barbier de Meynard et Pavet de Courteille, t. 2, Paris, 1862, p. 396 : Misr transmit la royauté à l’aîné (de ses fils), Kobt ; c’est à celui-ci que les Coptes d’Égypte rapportent leur origine. [41] Flavius Josèphe, Antiquités juives, I, 132 : Dans ces pays-ci, nous appelons tous l’Égypte Misr(ayim), et les Égyptiens miçrites. [42] L’étude complète de ces sources figure dans la deuxième partie de l’ouvrage annoncé supra, n. 15. [43] Un des plus connus est celui d’Ibn ‘Abd al-Hakam, un auteur égyptien du IXe siècle, dont nous montrons dans l’ouvrage annoncé supra, n. 15, à partir d’une nouvelle traduction, qu’il reprend seulement, en le recopiant mal, un texte plus ancien d’Ibn Khurdâdhbah, évoqué ici infra. [44] Hîchâm ibn Muhammad ibn al-Sâ’ib al-Kalbî, généralement appelé Ibn al-Kalbî, est né à Kûfa, en Irak, vers 737 et passa toute sa vie dans cette ville, où il mourut en 819 ou 821. Il eut la réputation d’être un des plus grands savants de l’époque abbaside et aurait composé plus de 150 ouvrages, dont la plupart ne sont connus que par des résumés ou des citations d’auteurs ultérieurs. Son chef-d’œuvre aurait été son traité généalogique, Djamharat al-nasab, très utilisé par Ibn Hazm et par Ibn Khaldûn : le passage reproduit ici est d’ailleurs extrait de l’œuvre de ce dernier auteur (Ibn Khaldoun, Histoire des Berbères, op. cit., n. 18, trad. De Slane, t. I, Paris, 1925, p 176-177). Voir la notice de W. Atallah dans EI2, t. 4, 1978, p. 516-517. [45] Ayant expulsé les Berbères d’Orient, ou les ayant attaqués en Afrique selon une autre tradition, les Tubba‘ auraient laissé comme garnison de surveillance sur place deux de leurs tribus, qui devinrent les Sanhâdja et les Kutâma (cf. Ibn Khaldûn, Discours sur l’histoire universelle, Al-Muqaddima, trad. V. Monteil, réimpr., Paris, 1997, p. 16, qui reprend en la critiquant cette légende, en rappelant qu’elle fut admise par une longue suite de savants, à commencer par Ibn al-Kalbî et le grand Tabarî). [46] Cf. note précédente. [47] Ibn Khaldûn, Kitâb al-‘Ibar, t. III, Beyrouth, 1981, p. 95. Extrait traduit par Ahmed Siraj, L’image de la Tingitane, École française de Rome, Palais Farnèse, 1995, p. 71. [48] Procope, La guerre vandale, II, 10, 12-13, 17-18, 25-27, trad. Denis Roques, Paris, Les Belles Lettres, 1990, p. 146-147. [49] Louis Gernet, De l’origine des Maures selon Procope, dans Mélanges offerts à Émile-Félix Gautier, Tours, 1939, p. 234-244. [50] Livre des Jubilés, IX, 1 (éd. A. Dupont-Sommer et M. Philonenko, La Bible : écrits intertestamentaires, Paris, Gallimard, 1987, p. 678) : Cham divisa (son territoire) entre ses fils : la première part, vers l’est, échut à Coush. À l’ouest de celle-ci (ce fut) la part de Misrayim ; à l’ouest de celle-ci, celle de Pout ; à l’ouest de cellle-ci, celle de Canaan ; à l’ouest de celle-ci (il y avait) la mer. L’ouvrage est maintenant daté du IIe siècle avant J.-C. Cf. sur son apport les remarques de M. Simon, Le judaïsme berbère dans l’Afrique ancienne, réimpr. dans Recherches d’histoire judéo-chrétienne, Paris, 1962, p. 39, n. 2 et 3. [51] Talmud de Babylone, Seder Nezi{in, traité Sanhédrin, 91a (trad. I. Epstein, Londres, The Soncino Press, 1935, p. 608-609) : Car quand les Africains vinrent plaider contre les Juifs devant Alexandre de Macédoine, ils dirent : « Canaan nous appartient, comme il est écrit : “La terre de Canaan avec ses rivages” ; et Canaan était l’ancêtre de ces peuples (nous-mêmes). » [52] Traité Schebiith, VI, 1, dans Talmud de Jérusalem, trad. M. Schwab, t. 2, réimpr., Paris, 1979, p. 380-381. Récit presque identique dans Midrash Lévitique, r. 17, commentaire sur Lévitique, 14, 34 (Quand vous serez entrés dans le pays de Canaan…), éd. Wünsche, p. 113, cité par M. Simon, op. cit., p. 41. [53] Jean d’Antioche, fragment 12, dans C. Müller, Fragmenta Historicorum Graecorum, t. IV, p. 547. L’auteur reste très mal connu. Les fragments qui lui sont attribués peuvent appartenir à plusieurs écrivains différents, et son époque est encore fort imprécise. L’extrait cité fait cependant partie d’un ensemble qui daterait du début du VIe siècle, avant Procope donc. [54] Liber Generationis I, 216, éd. Mommsen, MGH, a.a., t. IX, p. 110 : harum inhabitatores fuerunt Chananei fugientes a facie Ihesu fili Nave… Gadis autem Iebusei condiderunt et ipsi similiter profugi. [55] Georges le Syncelle, Chronographia, éd. Dindorf, Bonn, 1828, p. 87. [56] Georges Kédrénos, Synopsis istoriôn, éd. de la Byzantine de Paris, 1647, p. 13-14. Le passage ne figure pas dans tous les manuscrits. [57] Saint-Augustin, Epistulae ad Romanos inchoata expositio, 13 (éd. Johannes Divjak, CSEL, t. 84, Vienne, 1971, p. 162). Augustin rapporte un entretien de son prédécesseur Valérius avec des paysans punicophones de la région d’Hippone (Annaba), et il ajoute cette remarque : Unde interrogati rustici nostri, quid sint, punice respondentes : Chanani, corrupta scilicet sicut in talibus solet une littera, quid aliud respondent quam : Chananei ? Le texte est daté de 394-395 (cf. Serge Lancel, Saint Augustin, Paris, Fayard, 1999, p. 741). [58] Voir, par exemple, pour Goliath cité infra, Le Coran, sourate II, 249/250 – 251/252 (trad. R. Blachère, Paris, Maisonneuve & Larose, 1980, p. 68). [59] Le nom de ce savant est aussi orthographié Ibn Vvurradââvbih. Né entre 820 et 826, mort vers la fin du IXe siècle, Ibn Khurdâdhbah, d’origine iranienne, fut un haut fonctionnaire du califat abbasside à Bagdad et en même temps un polygraphe. Son traité géographique dont est extrait notre texte, le Kitâb al-Masâlik wa-l-mamâlik, daterait dans sa première version de 846 selon André Miquel (Géographie humaine du monde musulman, t. 1, Paris, 1967, p. XXI et 87). [60] Ibn Khurdâdhbah, op. cit., trad. Mohammed Hadj-Sadok sous le titre Description du Maghreb et de l’Europe, Alger, 1949, p. 13. [61] D. Oates, The Tripolitanian Gebel : Settlement of the Roman Period around Gasr ed Dauun, Papers of the British School at Rome, 21, 1953, p. 113. [62] Al-Mas‘ûdî, né à Bagdad au début des années 890, et mort en 956, est probablement le plus grand des savants musulmans du Moyen Âge et un des plus prolifiques. Son chef-d’œuvre, les Murûdj al-dhahab (Les prairies d’or), écrit vers 943-947, est une immense compilation de géographie et d’histoire universelles, parsemée de réflexions philosophiques, et nourrie d’expériences personnelles et de très nombreuses sources arabes mais aussi grecques et latines (Aristote, Platon, Ptolémée, Galien, etc.). Voir les notices d’André Miquel, Géographie humaine du monde musulman, t. 1, Paris, 1967, p. 202-212, et de Charles Pellat, EI2, t. 6, 1991, p. 773-778. [63] Al-Mas‘ûdî, Les prairies d’or, trad. C. Barbier de Meynard et J. Pavet de Courteille, t. III, Paris, 1863, p. 241-242. [64] Ibn Khaldûn, trad. De Slane, t. 1, Paris, 1925, p. 184. [65] De Slane, traduction d’Ibn Khaldoun (sic), Histoire des Berbères, t. 4, Paris, 1856, p. 572 ; Stéphane Gsell, Histoire ancienne de l’Afrique du Nord, t. 1, Paris, 1913, p. 355, n. 3. [66] Sur agellid, voir l’article de Salem Chaker et Gabriel Camps, Agellid, « roi », dans Encyclopédie berbère, t. 2, Aix, 1985, p. 248-250, où le rapprochement avec Goliath est à nouveau repris. Un autre exemple, à l’époque romaine, d’anthroponyme formé sur ce mot est à la fin du IVe siècle celui du célèbre comte d’Afrique Gildon, dont le nom berbère s’écrivait GLd. [67] Pour le passage de « g » à « dj », cf. les exemples de Garama, capitale des Garamantes du Fezzan, devenue à l’époque arabe Djerma, ou du patrice Grégoire, vaincu à Sbeitla en 647 au début de la conquête musulmane, et dont le nom chez les historiens arabes se lit Djurdjîr ou Djordjîr. [68] Ibn Kutayba, né à Kûfa en Irak en 828 et mort à Bagdad en 889, fut à la fois un théologien et un polygraphe fameux, dont une bonne partie de l’œuvre, volumineuse, a été conservée et publiée. Voir la notice de G. Lecomte dans EI2, t. 3, 1971, p. 868-871. [69] Extrait difficile à situer, cité par Ibn Khaldûn, trad. Abdesselam Cheddadi, Peuples et nations du monde, Paris, 1986, t. 2, p. 547 [= trad. De Slane, t. 1, p. 175]. [70] Salluste, Bellum Jugurthinum, XVIII : Sed postquam in Hispania Hercules, sicuti Afri putant, interiit, exercitus ejus, compositus ex variis gentibus, amisso duce ac passim multis sibi quisque imperium petentibus, brevi dilabitur. Ex eo numero Medi, Persae et Armeni, navibus Africam transvecti, proxumos nostro mari locos occupavere : sed Persae intra Oceanum magis…(…). Sed res Persarum brevi adolevit, ac postea nomine Numidae, propter multitudinem a parentibus digressi, possedere ea loca quae… Numidia appellatur. [71] Flavius Josèphe, Antiquités juives, I, 6, 2 et I, 15, 1. Le même récit est repris par Eusèbe de Césarée, La préparation évangélique, IX, 20, 2-4 (éd. Guy Schroeder et Édouard Des Places, Sources chrétiennes, Paris, Cerf, 1991, p. 245-246), où on lit Aphra et Apher. [72] Ptolémée, IV, 6, 6. Cf. Jehan Desanges, Catalogue des tribus africaines de l’Antiquité classique à l’ouest du Nil, Dakar, 1962, p. 236. [73] Plutarque, Vie de Sertorius, IX. [74] Ce rapprochement avait été fait dès 1852 par De Slane dans une note de sa traduction d’Ibn Khaldûn (t. 1, p. 175, n. 5). [75] La chronologie se suffit à elle-même. Le livre de Marcel Bénabou cité ici date de 1976 : comparer avec les dates de parution des livres et articles cités supra, n. 11 et 12.

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