juin 09, 2016

Diversité linguistique en France, des changements sans progrès


Par Belkacem Lounès
D’après l’auteure de l’article, « l’arabe n’est pas un simple dialecte ou un idiome minoritaire ». Est-ce une manière de dire la pensée unique méprisante pour les langues minorisées au profit des seules langues d’Etat ? Visiblement l’auteur ne sait pas que les dialectes sont des langues à part entière comme le démontre magistralement le Professeur Claude Hagège. Les qualificatifs de « dialecte », « idiome », « patois » et autres langues « vernaculaires », ont été inventés pour minoriser les langues des peuples dominés, les couvrir de discrédit et de mépris afin de  justifier leur abandon et le fait de les combattre. Linguistiquement il n’y a aucune espèce de différence ni de hiérarchie entre un dialecte, un patois, un idiome et une langue. Il est utile de rappeler que les langues officielles des Etats sont des dialectes qui été imposées par la force. Cela vaut pour le français comme pour l’arabe. 


« L’arabe est la langue officielle de 26 Etats, en Afrique et dans la péninsule arabique, soit 430 millions d’habitants ». L’auteure oublie de préciser que bon nombre de ces pays ne sont pas des pays arabes (notamment les pays du nord de l’Afrique), et que la langue arabe a été imposée et continue d’être imposée à coups de graves violences qui mènent de simples citoyens non arabes à la prison, à l’exil et à la mort. C’est le cas particulièrement pour les Amazighs (Berbères). Et à force de se battre depuis des siècles, ces derniers sont parvenus à arracher un peu de reconnaissance pour leur langue. En effet, Tamazight (la langue amazighe) a été inscrite dans la Constitution comme langue officielle de deux Etats, le Maroc (2011) et l’Algérie (2016). Mais l’auteure de l’article ignore ce fait majeur ou le passe sous silence, comme pour l’occulter ? Encore du mépris pour les « idiomes minoritaires » ?

Lyautey : le premier fondateur de la politique arabe de France en pays Amazighs d'Afrique du Nord
L’article affirme que « la décolonisation et l’arrivée de nombreux Maghrébins en France depuis les années 1960 a changé le profil des locuteurs. L’arabe est alors devenu la langue d’origine de populations d’immigrés… ». Visiblement notre auteure ne sait pas que ces « Maghrébins » ont été amenés manu militari en France dès le tout début des années 1900 pour les mettre au front des deux guerres mondiales et que jusqu’aux années 1960-1970, ces « Maghrébins » étaient très majoritairement des Amazighs : Kabyles, Chawis (Algérie), Rifains, Amazighs de l’Atlas, Chleuhs (Maroc) et la langue amazighe dans ses différentes variantes, était largement pratiquée dans les champs, les usines et les chantiers de bâtiment et travaux publics en France. Et c’est parce que la langue arabe était la langue des nouveaux dominants (inféodés à l’idéologie araboislamique) dans les pays du nord de l’Afrique qu’elle a été imposée dans les Elco française 
Cahier d’apprentissage de l’arabe présenté lors du salon Expolangues, en 2006. OLIVIER LABAN-MATTEI / AFP. Source Le mone
Selon l’article, « les ELCO favorisent la réussite scolaire des enfants de migrants en structurant et valorisant leur langue maternelle ». Sur quel constat de lien entre les Elco et la réussite scolaire de ces enfants ou étude scientifique l’auteure s’appuie t-elle pour affirmer cela ? Sait-elle que pour les enfants d’origine amazighe (ils forment environ la moitié des enfants d’origine nord-africaine), les Elco consistent à leur apprendre la langue arabe et la religion musulmane ? Et que constatant cela, les parents Amazighs ou Français d’origine amazighe ont progressivement retiré leurs enfants des Elco tout en demandant au Ministère de l’Education Nationale depuis l’année 2000 (Jack Lang était alors Ministre de l’Education Nationale), d’assurer ces enseignements avec des enseignants et des programmes français et d’y inclure la langue et la culture amazighes ?
Najat Vallaud-Belkacem, la ministre de l'enseignement, la 2eme Lyautey
L’auteure reprend les propos de Najat Vallaud-Belkacem au sujet de l’abandon des Elco et leur remplacement par des cours intégrés au temps scolaire et ouverts à tous. « Désormais, l’apprentissage de l’arabe, du turc ou du portugais doit se faire dans un cadre scolaire, banalisé, normalisé, comme toutes les autres langues ». Ce serait parfait mais à condition naturellement qu’il y ait égalité de traitement pour toutes les langues issues de l’immigration ayant un nombre de locuteurs significatif en France, comme c’est le cas pour la langue amazighe ou Kurde par exemple. Mais rien n’indique que l’on se dirige vers cette égalité de traitement lorsque l’on constate que Mme la Ministre se préoccupe uniquement du développement de la langue arabe. Dans les colonnes du JDD du 29 mai 2016, elle affirme : « cette semaine, des voix se sont élevées avec raison pour appeler l'école de la République à enseigner l'arabe dans les mêmes conditions que toutes les autres langues vivantes ». Et les autres langues, y compris les langues dites régionales, pourquoi la Ministre n’en parle jamais ? Quelle est le sens de la diversité culturelle et linguistique pour Mme la ministre de l’Education Nationale ?
Sur RMC le 31 mai dernier, Najat Vallaud-Belkacem enfonce le clou en annonçant que « l'arabe peut être enseigné dès la classe de CP, dès lors qu'on a les moyens humains pour le faire ». Interrogée justement sur ces moyens, elle répond :"Soit nous avons des professeurs d'école capables de le faire. Si nous n'en avons pas et qu'il y a une demande, nous ferons appel à des intervenants étrangers ». Autrement dit, les Elco sortis par la porte reviennent aussitôt par la fenêtre puisque si l’Education Nationale manque de professeurs français, elle fera appel (sous quelle forme ?) à des enseignants étrangers.

On se demande quel objectif poursuit la Ministre de l’Education Nationale et le gouvernement français en la matière ? Est-ce pour faire plaisir aux gouvernements arabes et notamment aux monarchies pétrolières du Moyen-Orient ? Ou est-ce une manière d’amadouer, voire de s’attirer la sympathie des islamistes d’ici et d’ailleurs pour qui l’arabe est la langue « sacrée » du Coran ? En tout cas, il est important que chacun sache que les immigrés et Français d’origine amazighe ne veulent pas que la politique d’arabisation forcée mise en œuvre par les gouvernements non démocratiques dans les pays du nord de l’Afrique, les poursuive jusqu’ici.

8/06/2016, Belkacem Lounès
Ancien Conseiller Régional de Rhône-Alpes (2010-2015)
Anne-Ael Durand, Journaliste et éditrice multimédia chez Le Monde

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