juin 07, 2016

Le rapport américain sur le Maroc ignore les droits des Amazighs

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Par Rachid Raha,
Président de l’Assemblée Mondiale Amazighe
Le dernier rapport du département d’Etat américain, sur les droits de l’homme consacré au Maroc, a provoqué un séisme politique au sein de certaines institutions du royaume dont le ministère de l’intérieur. Ce dernier a convoqué l’ambassadeur américain au lieu et place des institutions diplomatiques. Les autorités officielles marocaines ont violemment critiqué le contenu de ce rapport annuel non exhaustif, qui ne fait que reprendre certains cas de violations des droits humains, de tortures, de privation de la liberté de presse, d’absence d’indépendance de la justice, et autres que la majorité des ONG nationales et internationales (Amnesty International, Human Watch Rights, FIDH…) dénoncenten tant que préoccupante dérive sécuritaire. Néanmoins, alors que le non-respect des droits humains est plus prononcé en ce qui concerne les droits des Amazighs, ces ONG, dont celles américaines, gardent un silence complice.

Force est de signaler que ce qui distingue le dernier rapport américain des antécédents, c’est que le département d’Etat, aborde enfin et pour la première fois la question amazighe en lui dédiant un petit paragraphe, intitulé «minorités nationalistes, raciales et ethniques ». Ce paragraphe signale que la majorité des régions pauvres du Maroc sont habités par la majorité des Amazighs, avec un taux d’analphabétisme arrivant à 80%. Il reprend aussi le fait que les autorités marocaines ne font aucun effort pour l’application de l’article constitutionnel se référant à l’amazighe en tant que langue officielle. Il avance que 60% de la population, y inclus la famille royale, ont des gènes amazighs, alors qu’en réalité presque 99% des marocains sont plutôt tous amazighs génétiquement. (Sur ce sujet voir:http://www.amadalpresse.com/RAHA/Origines.html).

Ce qui nous a le plus surpris dans ce rapport c’est que le secrétaire d’Etat américain, John Kerry, ne s’est pas préoccupé des violations des droits des Amazighs que notre ONG, l’Assemblée Mondiale Amazighe (AMA), lui avait adressé lors de sa visite au Maroc le 3 avril 2014 (https://www.kabyle.com/lettre-rachid-raha-john-kerry-visite-officielle-rabat-23023-03042014). Il lui avait été exprimé que : « L’examen de l’évolution des droits des imazighen (berbers) au Maroc est assez décevant. Dans ce sens, nous vous exprimons notre profonde déception quant au recul de l’Etat et du gouvernement marocains en ce qui concerne leurs engagements suite aux revendications du Mouvement de la jeunesse du vingt février 2011, notamment la reconnaissance, dans la constitution marocaine, de l’Amazighe en tant que langue officielle pour tous les marocains. En dépit du temps passé, deux années et neuf mois (à l’époque, et maintenant cinq années), les principes constitutionnels qui devaient être traduits sous forme de lois organiques, de décrets, arrêtés et circulaires d’applications, comme la loi organique devant consacrer le caractère officiel de la langue amazighe n’ont pas encore vu le jour. ».

L’Assemblée Mondiale Amazighe avait insisté sur : « la perpétuation de la discrimination et de la ségrégation contre l’amazighité et les Amazighs au Maroc. Ainsi, à titre d’exemple :

- Interdiction de l’utilisation de l’amazighe, à l’écrit et à l’oral, au sein des différentes institutions de l’Etat marocain, dont le parlement ;

- Absence de la langue amazighe et de son écriture dans les nouvelles monnaies nationales ;

-Absence d’évolution dans le dossier de l’apprentissage de l’amazighe, et le frein à sa généralisation dans l’enseignement primaire et secondaire ;

- Absence d’intégration de l’amazigh dans les programmes de l’alphabétisation des adultes et dans la formation ;

- Frein d’intégration de l’amazigh dans les médias audio-visuels et absence totale de politique de « discrimination positive », sachant que la langue amazighe a été privée de jouir de ses droits depuis l’indépendance du pays, soit depuis cinquante huit ans (maintenant soixante ans);

- Les prisonniers politiques amazighs, notamment Mustapha Oussaya (qui vient d’être libéré après neuf ans de prison) et Hamid Aadouch continuent à être incarcérés à la prison de Meknès, sans que le Conseil Consultatif des Droits Humains, ni le ministère de la Justice s’en préoccupent pour ouvrir de nouveau leur dossier juridique caractérisé par de graves anomalies ;

- Diverses promotions de diplômés amazighs dans différents domaines et en langue amazighe sont confinées au chômage et subissent de continuelles répressions policières devant le parlement, à l’instar des sévices contres des enseignants.

-La ségrégation continue à persister en ce qui concerne le soutien de l’Etat au cinéma, à l’art, aux journaux, à la culture, aux auteurs amazighs et aux associations... A propos de ce dernier point, le sit in que notre ONG, l’Assemblée Mondiale Amazighe voulait organiser à la frontière algéro-marocaine, le 9 février 2014 en solidarité avec les populations amazighes du Mzab algérien et en faveur de l’ouverture des frontières, a été formellement interdite par les autorités marocaines par écrit ;

- A ce jour, le bilan du gouvernement en cours est très négatif en ce qui concerne la question amazighe. En outre, durant le mandat des derniers gouvernements conservateurs, on a pu relever des décisions racistes, des pratiques ségrégationnistes et des répressions inédites contre les populations Amazighs (Ayt Bu Ayache/Imzuren, Tinghir, Imider, AytSgugu à Mrirt, Ait Baha au sud, Targuist…) ;

- La continuation de la spoliation des terres collectives des tribus amazighes par des décrets de l’époque coloniale;

-Malgré le rapport accablant du Conseil de l’Europe (CDE) qui dénonce la corruption généralisée au Maroc, placé à la 91eplace dans l’Indice de perception de la Corruption, le gouvernement marocain continue à être sourd à ces rapports. Par exemple, il insiste à maintenir à son poste M. Ahmed LahlimiAlami, Haut-Commissaire au Plan, et il le charge de diriger l’opération de nouveau recensement de la population en septembre 2014. (Ce monsieur, mis en cause par le rapport de Driss Jettou, président de la Cour des Comptes, dans le détournement des fonds publics, est très connu pour son penchant discriminatoire anti-amazigh, du fait de son appartenance idéologique à une formation politique, liée au défunt Mehdi Ben Barka, qui selon les mémoires de Mahjoubi Aherdan, est mis en cause dans l’assassinat d’Abbass Messaadi, le chef amazigh de l’armée de libération. M. Ahmed Lahlimi, du fait de sa profonde haine envers les autochtones, a falsifié délibérément le nombre des amazighophones, en les réduisant à un chiffre dérisoire de 28,4 % de la population lors de recensement de 2004 (et en 2014 réduit à27% !!!), soit moins de 8 millions et demi de la population, alors que la communauté amazighs constitue la majorité ».



A part d’interpeller le secrétaire d’Etat américain, l’Assemblée Mondiale Amazighe avait eu le mérite, à côté d’autres ONG amazighes (Association Tamazgha, Organisation Tamaynut et le Réseau Azetta), d’exposer plus amplement ces violations aux Nations Unies, au Comité des droits économiques, sociaux et culturels qui a examiné le quatrième rapport périodique du Maroc sur l’application du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, tenues à Genève les 30 septembre et 1er octobre 2015.




A cet égard, les Nations Unies ont donné raison aux ONG amazighs et elles ont reconnu le fait discriminatoire de l'Etat marocain à l'encontre des Amazighs à travers son comité des droits économiques, sociaux et culturels qu’elles dénonçaient.




Dans ses observations finales, l’ONU, a recommandé au royaume du Maroc d’adopter le plus rapidement possible le projet de loi organique sur la langue Amazigh comme une des langues officielles de l’État et de redoubler ses efforts pour offrir l'enseignement primaire, secondaire et universitaire en Amazigh, augmenter la présence de cette langue dans la télévision et régler définitivement la question des prénoms Amazigh (à propos de ce sujet, l’ONG nord-américaine Human Watch Rights avait déjà fait un formidable travail :




Le Comité onusien avait recommandé aussi à l’État partie de prendre des mesures pour garantir aux Amazighs, et aux Sahraouis, la jouissance pleine et sans restriction de leur droit de participer à la vie culturelle. Il lui recommande aussi de prendre des mesures additionnelles pour protéger la diversité culturelle et leur permettre de préserver, promouvoir, exprimer et diffuser leur identité, leur histoire, leur culture, leur langue, leurs traditions et leurs coutumes…



Depuis octobre dernier, les autorités marocaines, au lieu de respecter les droits humains en général et plus particulièrement ceux des Amazighs et des populations autochtones, n’ont rien fait du tout. Elles ont répondu par la sourde oreille et en atteste le budget national de 2016 où il n y a aucun financement pour appliquer ces recommandations. Des recommandations qui pourrait mettre fin au système d’apartheid anti-amazigh de l’Etat marocain (que l’AMA avait envoyé à quelques ambassades dont celle des Etats Unies d’Amérique le 10 décembre dernier à l’occasion de la commémoration du 67ème anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l’Homme).



En définitive, et du fait que le préambule de la nouvelle Constitution marocaine en date du 1er juillet 2011, affirme la primauté des lois et conventions internationales sur les lois nationales, les Amazighs ne cessent d’interpeller les autorités marocaines afin qu’elles changent de cap et de respecter pour de bon les droits humains en général dont ceux des citoyens et des populations amazighs. Les Amazighs continuent d’attirer l’attention des institutions internationales dont celle des ministères des Affaires étrangères européens et américains afin de leur demander d’intercéder auprès des autorités marocaines sur la même problématique, celle de respecter les droits humains et les droits des Amazighs et de réussir par conséquent une fois pour toute la transition démocratique, celle de passer d’un système féodale vers un système démocratique, d’un système « makhzénien » vers une monarchie parlementaire et fédérale.


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