juillet 03, 2016

Brefs propos sur la poésie en tamazight


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M. Oudadess (Rabat)
1/ Introduction. La poésie en tamazight est un sujet très vaste et qui semble n’avoir été, jusqu’à présent, que légèrement effleuré ; vu son rôle dans la vie des Imazighen. D’ailleurs, ceux-ci répètent sans cesse et partout que

(.) ‘Tar izli ur telli’ : Celle qui n’est pas en vers n’existe pas ; en d’autres termes, sans poésie, rien n’existe.
(.) ‘Tittê n umdyaz amm tisit’ : Tel le miroir est l’œil du poète. On utilise aussi l’expression ‘Amedyaz amm tisit’.
(.) ‘Amedyaz ur da itteyawadê’ : On ne touche pas au poète.


Ainsi, le poète a un statut de premier rang dans la communication entre les humains. C’est même la preuve de l’existence. Il est présenté comme le témoin de moralité et de vérité. De plus, on lui accorde l’immunité afin qu’il puisse remplir sa mission en toute quiétude. Ceci est l’état d’esprit jusqu’n 1912 environ. La société s’exprimait à travers Ahidous, Izlan, Tamawayt, Ahouach, Ajmak, etc. C’était la culture vivante et vécue. Mais la conception colonialiste de Lyautey s’abat, soutenue par la force mécanique militaire et aussi, malheureusement, civile. Elle est arabo-islamiste. Apparaissent alors le ‘bureau arabe’ et ‘l’école musulmane’ qui vont fausser, et jusqu’à maintenant, le profil culturel du Marocain. On impose une culture officielle arabo-musulmane ; et on dévalorise tout le reste, c'est-à-dire l’essentiel en le traitant de populaire ou de folklorique.


Dans le cadre de cet écrit, il est impératif de redresser le tort. Et il convient de parler de poètes traditionnels et de poètes modernes. Mais, non plus, de poètes modernes –car ils ont eu la chance d’aller à l’école- et de poètes populaires. 


Après cette brève mise au point, nous allons essayer, dans ce qui suit, de donner une idée générale sur quelques genres poétiques en tamazight. Il est difficile, dans le cas traditionnel, de distinguer chant et poésie à cause de déclamations élaborées de poèmes.


2/ Izli (pl. Izlan). On le traduit, communément, par ‘distique’. C’est un seul ver, indépendant, qui se suffit à lui-même. Il exprime une idée entière. Il y en a qui, beaux et percutants, traversent les âges. Izli couvre tous les aspects, de la vie et de l’au-delà, qu’il est impossible d’en faire le tour.
Je voudrais aussi placer une remarque en ce qui concerne une étymologie probable du mot ‘Izli’. C’est un singulier qui commence par un ‘i’. Est-ce, comme on se plait parfois à le penser, un singulier tiré d’un pluriel ? Je préfère le ramener à ‘Azzeli’ (ce qui est fluide) du verbe ‘Azzel’ (courir, couler). Il pourrait tout aussi bien s’agir de ‘Izzeli’ (le fluide lui-même). 


Le distique peut être léger et de circonstances, émis par des personnes quelque peu habitués mais qui ne se prennent pas –parfois par modestie- pour des poètes. Il m’a été donné de vivre une telle situation. En 1969, j’étais, avec d’autres voyageurs, sur des sacs et autres bagages, transportés par un camion. Il s’arrêta pour prendre d’autres gens qui attendaient au bord de la piste. Une femme, qui avait à peine fini de s’installer, lança


Ad iyi yaggej Rêbbi memmi;
Oumerêghad ur iyi izriy.


C’est à dire
Que Dieu, mon fils me préserve ;
Oumerghad ne m’a pas délaissé.


Et l’un des voyageurs, qui était déjà avec, l’apostropha : Dis en la suite, sinon je penserais que tu n’en es pas l’auteur. Tout le monde se mit à rire, dans une atmosphère de détente cordiale.


3/ Tamedyazt. C’est un poème moyen ou long qui traite d’un sujet d’actualité ou d’intérêt général. Il est déclamé simplement ou chanté, d’une manière ou d’une autre, avec parfois un accompagnement musical intermittent. C’est le domaine des poètes attitrés. Aucun amateur ne s’aviserait à s’essayer à Tamedyazt. Les rythmes en sont nombreux. En ce qui concerne les auteurs, nous citons, à titre d’exemples, Sakkou A3cchchaq, Moha Oulbaz, 3merê Oumehfod, Oukhdija, etc. Enfin, il semble que ce genre littéraire ait disparu dans le Sous et le rif.


4/ Tamawayt. Elle jouit d’un statut tout à fait à part. C’est une performance en solo, uniquement vocale, jamais avec musique. C’est certes une déclamation, mais il serait réducteur d’en parler comme d’un chant. D’abord, il faut une maitrise exceptionnelle de la voix que les tamawayteurs, généralement des femmes, sont bien rares. Pour se faire une idée, on peut penser à une complainte criée du fond de l’âme et qu’on veut communiquer à tout l’univers. Elle est pénétrante et saisissante. Elle ne laisse personne indifférent. En fait, chacun suspend son geste et tend l’oreille dans un recueillement remarquable. On raconte que même la panthère reste la patte en l’air lorsque, dans sa marche, elle est surprise par tamawayt.


5/ Ahidous. On ne peut traiter de la création poétique sans parler de Ahidous. C’est tout in univers. Il englobe poésie, chant et chorégraphie. Son impact social est Transcendant. A noter le sous-produit qu’est tahidoust (le petit Ahidous) qui permet à chacun de participer sans être nécessairement un bon connaisseur. C’est une activité artistique collective où des individualités trouvent à s’exprimer avec l’espoir de voir leurs prestations admises et, encore mieux, approuvées. Elle a ses règles qui ne peuvent, en aucun cas, transgressées. Il faut impérativement être bien mis, frais et respectueux de tous et de chacun. Alors, sous la conduite de Amgharê (le chef d’orchestre), commencent les joutes poétiques. Il n y a pas de concession sur le fond, mais la forme doit être élégante et soignée. C’est, en quelque sorte, un combat de fauves mais avec des armes douces. De caractère épique, c’est une guerre sans armes physiquement meurtrières. Et il arrive que, au lieu de s’entretuer, des adversaires s’n remettent au résultat de cette compétition oratoire, dans une atmosphère de défoulement calme er de régénérescence. Par ailleurs, il arrive aussi, mais c’est rare heureusement, qu’un distique trop appuyé touche tellement le vis-à-vis et soit le déclencheur d’hostilités. 


Une fois en piste, on commence par un répertoire de choix, pour mémoire et pour le plaisir partagé. On sollicite ainsi la fibre musicale et on aiguise la sensibilité. Le niveau de perception s’élève. Alors débute la création. Elle est instantanée. Les vers sont proposés. Ils sont repris, peu de fois ou plus ou moins longtemps selon l’accueil du public. Ainsi, Ahidous est l’occasion, par excellence, de la naissance, du développement et du renouvellement de la poésie. Quand un distique ne répond pas aux canons, il tombe de lui-même et finit dans l’oubli.


Il importe de relever ici que la présence féminine est capitale. On ne conçoit pas un véritable Ahidous sans celle-ci. Malheureusement elle s’est mise à faire défaut, dans certaines contrées, sous l’influence de l’Islam. 


A noter aussi, avec bonheur, le grand renouveau de cet art où s’illustrent poètes et musiciens hors pair, mais qui n’a de sens que collectif. Dans les années quatre-vingt, feu le Maestro Moha Oulhousain tirait la sonnette d’alarme en déplorant le dépérissement de beaucoup de troupes. Aujourd’hui, on en trouve partout et, ce qui est remarquable, même parmi les bien jeunes.


Enfin, il est également, intéressant de signaler que, en plus de la vérité des rythmes et cadences, il y a toujours la touche des chefs d’orchestre. Chacun y met ses gestes, ses mouvements de corps, de tête et de pieds. Il est envoûtant de sentir s’écouler la musique et le chant, baignant dans l’harmonie de la chorégraphie de Amgharê et des voix des choreutes.


N. B. Lors d‘une discussion avec M. Quadery, il a fait le rapprochement avec ‘Aède’, pensant peut être à ‘Aédus’ en latin. Vérification faite, ‘Aède’ se dit ‘Aédos’ en grec. C’est out ce qu’on peut dire maintenant, mais la voie est ouverte à l’investigation.


6/ Poésie moderne. Depuis les années soixante, il se développe une poésie moderne variée. Des poètes respectent les métriques classiques alors que d’autres s’adonnent à la poésie libre. Cette dernière étant une nouveauté. Il faut aussi noter que les auteurs, hommes ou femmes, sont passés par l’école. Une partie d’entre eux a bénéficié de l’enseignement supérieur.


Les thèmes classiques sont toujours traités, certes avec des nuances dues à l’influence d’autres civilisations mais le fond demeure. Il en es ainsi de l’amour du prochain et de la terre, de l’honneur, du respect de la parole donnée, de la grandeur d’âme, etc. Il y a cependant un point sur lequel il faut insister. L’on croit ou l’on veut faire croire que la conscience amazighe est récente et ne serait qu’à quelques dévoyés qui ont été mis sur le mauvais chemin par des Européens eux-mêmes illuminés. Qu’on se détrompe. A titre d’exemple, citons ce distique mémorable chanté, fredonné et entonné par des générations. A une époque, il passait même à la radio marocaine (unique, à ce moment là) :


Asey ara3a nnech digi,
Nekk d Umach Amazigh.


C'est-à-dire
Sur moi, lève donc ton regard ;
Ton frère Amazigh, je suis bien.


Il y a aussi ce poète lettré qu’est Elmokhtar Essousi qui, en arabe, déplore l’esclavage de son peuple par l’ignorance et veut qu’on se remémore la grandeur des ancêtres :


Hatta mata cha3bi yu3abbiduhû aljahêlu
Ka an lam yakun qutêbe assiyadati min qablu
Ka an lam yakun fina almurabitiyyu
Alladi bihî tamma alisti3au wa achchanu.


C'est-à-dire
Jusqu’à quand, mon peuple, de l’ignorance, sera-t-il l’esclave
Comme si jamais, de souveraineté, il ne fut le pivot
Comme si, en nous, point ne fut la Morabite
Avec lequel furent atteintes la grandeur et la gloire.


Un autre distique qui en dit long sur la différence de mentalité entre Imazighen (les enfants de Tamazgha) et ceux qui, se croient arabes et veulent tout avoir par c seul fait :


Tenna yannay Wa3râb, tinnes ayd tga;
Tenna ur yannay, azen winnes, diges.


C'est-à-dire
Celle vue par l’Arabe, à lui tout entière ;
Celle non aperçue, la moitié à lui revient.


7/ Conclusion. Au début de cette conclusion, je veux d’abord revenir sur la question de savoir pourquoi un poète amazigh éprouve-t-il le besoin de s’exprimer en tamazight. Elle courant u Maroc ; surtout chez les défenseurs de la culture officielle. On l’admettait, afin de faire connaitre quelque peu les poètes et la poésie amazighe. En fait, elle est nulle et non avenue. Comment, en effet, peut-on demander à quelqu’un –et encore plus à un créateur- pourquoi il s’exprime dans sa langue maternelle ? Je crois, pour ma part, avoir définitivement tranché, en ce qui concerne cette question vicieuse. J’avais affirmé à la fin de mon poème ‘La langue de ma Mère’


Je vous admire, toutes les langues ;
Je fais corps avec la mienne,
Tamazight.


Une question standard, celle-ci, concerne les thèmes traités. Faut-il d’abord rappeler qu’un poète, même s’il vit dans un milieu particulier, accède, de temps en temps, à un monde supérieur où se reconnaissent les esprits universels. C’est dire qu’il y a des thèmes dont c’est plutôt l’absence qui devrait étonner : La vie, la mort, la joie, la peine, l’amour, la sagesse, la politique, etc. encore faut-il signaler, entre autres, chez les poètes amazighs, une poésie codée, une poésie ludique, l’amour des parents avec une note toute particulière pour la mère, l’amour du pays (du terroir, de la patrie, une poésie contre l’occupant, etc. voici, en ce qui concerne le terroir


 wissen,  tamazirt, idd ann aghoulekh,
Mad ad akh yader wachal g tinna our ssinkh?


C’est à dire
Qui sait, Ô pays, si en toi vais-je revenir,
Ou, en lieux inconnus, la terre me couvrira.


Comme dernier mot, il y a bien plus de sagesse, de profondeur, de méditation, de vérités, … chez des poètes dits populaires que chez des rimailleurs dits instruits ; dans les écrits desquels dominent le factice, le maniéré, l’ésotérique, l’indéchiffrable, … . Quand on parle de poésie populaire, les soi-disant ‘véritables poètes’ sont ainsi exclus du peuple. Mais alors où les classe-t-on et pour qui sont-ils utiles ?


En ce qui concerne tamazight, il n y a pas de poètes populaires et non populaires. Il y a des rimailleurs à l’occasion, des amateurs et des professionnels –inspirés ou non- et des poètes au sens le plus noble. On ne peut alors que distinguer des poètes traditionnels st des poètes modernes, de la continuité les uns des autres. Ce n’est évidemment qu’une manière commode de parler. Des classifications plus fines peuvent et doivent être données, une fois que la poésie amazighe aura bénéficié de tout l’intérêt qu’elle mérite. 


L’école et les médias –dits marocains mais qui ne le sont pas- qui sévissent chez nous se sont donnés comme mission de dénaturer Tamazgha (L’Afrique du Nord) ; de fabriquer –oui de fabriquer, car elles fonctionnent comme des usines malfaisantes- des analphabètes, des ignorants et, pire que tout, des terroristes. Jamais vous n’entendrez parler de manière élogieuse, dans le respect de leur véritable statut, de nos poètes traditionnels.


(Texte inédit)
Hha Oudadess
Rabat, 03-09-2009

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