avril 21, 2020

Maroc: Quelle politique à prendre après le coronavirus Covid-19?*


Par: Amina ibnou-Cheikh**

Devant cette profonde crise à tous les niveaux, et plus particulièrement au niveau sanitaire et économique, que la pandémie de coronavirus Covid-19 a provoqué dans le monde et dans notre pays, toute réflexion précoce sur les modalités et les politiques à mener pour faire face et surmonter cette dure dépression socio-économique est la bienvenue.
Dans ce sens, nous applaudissons l’opportune et louable initiative que vient de lancer le parti Rassemblement National des Indépendants (RNI) et de son président Aziz Akhannouch, de  cette plateforme participative sous forme d’un forum ouvert où des citoyennes et des citoyens peuvent contribuer afin de penser et réfléchir librement aux nouvelles voies et nouvelles réformes en faveur d’un nouveau modèle de développement humain et économique dans le but de dépasser et surmonter collectivement  la grande crise d’Après-Covid19.
A cette invitation citoyenne, j’ai le plaisir de vous exposer ma contribution avec certaines modestes propositions :
En tant que militante des droits de l’homme et défenseur des droits des Amazighs, nous devons être conscients que toute proposition partisane ou émanant de la société civile, et que toute stratégie politique que devrait adopter l’actuel ou les prochains gouvernements, au présent, à court terme et à moyen terme, devront respecter tout d’abord notre constitution du premier juillet 2011 et son article 5 qui stipule l’officialité de la langue et de la culture amazighe. C’est un urgent et prioritaire préalable, surtout que nous vivons un moment où les lois organiques de la mise en œuvre du caractère officiel de la langue amazighe et la loi du Conseil National des langues et de la culture marocaines viennent d’être adoptés et publiés au Journal Officiel. D’ailleurs, en passant, nous devons saluer le courage et la détermination du RNI d’être à côté du mouvement amazighe pour que les dites et tant attendues lois voient le jour.
Comme cette tragique de pandémie de Covid-19 nous a obligé tous et tout un chacun à plus de réflexion, plus de méditation et plus d’autocritiques sur les échecs continus de nos politiques de développement humain et économique, échecs reconnus par la plus autorité de notre pays, Sa Majesté Mohamed VI, nos modestes propositions pourraient se révéler plus réalistes et plus efficaces si on se base sur notre identité autochtone et dont  nos langues maternelles, tant méprisées et tant marginalisées.
Ainsi, avant l’apparition de Covid-19 dans notre royaume, le Maroc venait de se classer à la position de 121ème parmi 189 pays selon l’Indice de Développement Humain (IDH) du Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD).  Malgré les énormes efforts gouvernementaux depuis l’accession de Sa Majesté Mohamed VI au trône, notre pays est resté, malheureusement, à la traine des pays du monde en ce qui concerne le développement humain. Notre cher pays est toujours fortement pénalisé par la faillite du secteur de l’éducation, des maigres résultats de l’alphabétisation des adultes (un secteur qu’une certaine formation partisane conservatrice exploite au profit de ses associations satellites pour véhiculer le prosélytisme religieux !) et bien entendu, des défaillances de secteur de la santé. Or, précisément ces deux principaux secteurs absorbent une part fort importante de notre PIB et de notre budget national : 96 milliards de dirhams du budget dans le PLF2019. Pour quel résultat ?!!!
Par conséquent, les décisions à prendre dans ces deux secteurs fondamentaux et afin de ne plus gaspiller leurs budgets respectifs seraient déjà de prendre au sérieux les revendications légitimes du mouvement amazigh.
Dans le domaine de la santé : 
Les populations amazighophones se sont toujours manifestées pour revendiquer des infrastructures sanitaires dans les régions enclavées. Par exemple au Rif, les acteurs associatifs n’ont cessé de revendiquer des hôpitaux spécialisés en oncologie vu le taux important de cancéreux. Cette proposition a été remise sous forme de pétition par Agraw Amadlan Amazigh en février 2015 au ministre de la santé de l’époque qui l’a tout simplement complètement ignorée. Pourtant, cette revendication s’est convertie dans l’une des revendications les plus essentielles et les plus mobilisatrices du mouvement social et populaire du Rif. Notons que dans la région de sud-est, à Assammar, la tragique mort de la petite fille Idya le11 avril 2017, faute de moyens sanitaires. Dans la région de Moyen Atlas, et à Khénifra des ONG maroco-suisses ont rencontré d’inexplicables blocages administratifs pour des aides médicales et construction de dispensaires !
Après le Covid-19, il serait grand temps que notre système de santé s’améliore.  Le décentraliser le plus possible et mettre les infrastructures dans ces régions enclavées et périphériques et du monde rural ainsi que de les doter de matériels adéquats et suffisants de manière permanente. Il est malheureux de se limiter à la publicité  pour la visite du ministre de la santé pour qu’il fasse des photos et des couvertures télévisées lors de l’inauguration d’un centre et qu’à son départ on reprend tout le matériel, comme s’est passé à Anfgou et à la commune urbaine de Beni Enzar !
Il faut aussi insister sur les campagnes de sensibilisation et les campagnes de planification familiales pour qu’elles soient diffusées amplement dans les télévisions publiques, comme c’est le cas en faveur de stopper la contagion de coronavirus, et qu’elles se fassent en langues maternelles que les citoyennes et citoyens qui ne maitrisent pas l’arabe et le français comprennent aussi !
Dans le domaine de l’Éducation Nationale: 
Cette pandémie nous a appris l’importance capitale de l’internet et surtout le fait que l’esprit scientifique et les nouvelles technologies doivent primer. L’enseignement des langues étrangères, de l’e-learning, ainsi qu’une éducation sérieuse et de qualité ouverte sur le monde n’est plus une option, mais bel est bien une obligation.
Il faut dire que la faillite du système éducatif marocain, basé auparavant sur des supports idéologiques de
 «la politique d’arabisation», s’est caractérisée par de hauts taux d’échecs et d’abandons scolaires. Ainsi, le décrochage scolaire était de 260.000 élèves qui ont quitté les bancs de l’école pour l’année 2017-2018, Certaines années, ce chiffre a dépassé les 400.000 enfants ! Et cela et à cause de la cécité idéologique qui a poussé à l’exclusion des langues maternelles, en l’occurrence les langues amazighe et le darija, comme le souligné dernièrement  par l’UNESCO. Dans ce sens, la généralisation du préscolaire que feu conseiller Mezian Belfqih défendait acharnement et l’enseignement primaire ne pourront donner des résultats probants qu’à condition d’inclure la langue maternelle. Comme l’affirme le grand linguiste français Alain BENTOLILA : « les systèmes éducatifs de certains pays, aussi coûteux qu’ils soient, sont devenus des machines à fabriquer de l’analphabétisme et de l’échec scolaire parce qu’ils n’ont jamais su (ou voulu) résoudre la question qui les détruit : celle du choix de la langue d’enseignement. Ils conduisent des élèves à des échecs cruels parce que l’école les a accueillis dans une langue que leurs mères ne leur ont pas apprise et c’est pour un enfant une violence intolérable…c’est sur la base solide de leur langue maternelle qu’on leur donnera une chance d’accéder à la lecture et à l’écriture et que l’on pourra ensuite construire un apprentissage ambitieux des langues officielles.» et par extension des langues étrangères.
En ce qui concerne la Femme marocaine : 
Tous les pays en voie de développement qui ont connu un saut notoire dans le développement économique et technologique, avaient parié sur des politiques volontaristes en encourageant la scolarisation des petites et jeunes filles ainsi que l’alphabétisation des femmes.
L’analphabétisme est parmi les causes de la marginalisation des femmes, et plus particulièrement les femmes rurales, et constitue un obstacle majeur à la réduction de la pauvreté extrême. Dans un monde d’après le Covid-19 où les technologies et le numérique occuperont une place prépondérante et où savoir lire, écrire, compter et manipuler l’outil internet, sont  indispensables pour exercer ses droits fondamentaux et participer activement au changement le monde et par conséquent combattre la pauvreté, ce n’est plus un choix !
Comme le souligne beaucoup d’ONG qui défendent des droits des femmes, lorsque des femmes savent lire et écrire et faire des calculs, elles peuvent faire des choix leur permettant d’améliorer considérablement leur vie.
En effet, ces politiques d’alphabétisation et d’éducation en faveur des femmes doivent inclure aussi des campagnes de sensibilisation en faveur des femmes battues, la lutte contre toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes, ainsi que le planning familial. Tout cela ne peut être possible avec la persistance à continuer à négliger consciemment ou involontairement, le rôle fondamental des langues maternelles, en l’occurrence la langue amazighe et le darija.

Dans le domaine de la communication et de l’audio-visuel : 
La pandémie Covid-19, en plus de ses impacts néfastes sanitaire et économique, a permis la propagation et la diffusion de nombreuses rumeurs et « fake news » dont beaucoup de nos concitoyens se sont abreuvés et souvent crue.  C’est pour cela qu’il faudra repenser une nouvelle politique de communication audiovisuelle caractérisée par plus de fermeté, de crédibilité et de transparence. Dans ce sens, il faudra batailler contre la ghettoïsation de l’information. Cette révolution de l’après Covid 2019, ne pourra être efficace que si elle  est relayée en langues maternelles, en tamazight et en darija. Parlons aux gens avec ce qu’ils aiment et comprennent comme langues. C’est leur identité et leur Histoire !
En définitive, comme vient de l’affirmer récemment Abebe Aemro Sélassié, le directeur Afrique du FMI « cette fois-ci, aucun pays africain ne sera épargné par la crise économique » provoqué par la pandémie de coronavirus Covid-19, et le Maroc, en tant que pays africain ne pourrait surmonter ladite crise qu’à travers un élan de solidarité national sans failles renforçant ce nouveau modèle de développement humain et socio-économique, qui prendra  en considération les caractéristiques linguistico-culturels du peuple marocain.

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