juin 03, 2016

Miriem Bensalah-Chaqroun tire à boulets rouges sur le gouvernement


MERIEM BENSALAH

ÉCONOMIE - A quatre mois des élections, la présidente de la CGEM fait monter la pression sur le gouvernement et avance ses pions sans fard. Dans une allocution faite à Skhirat, lors d'un colloque sur le modèle de développement du Maroc, à l'occasion des 56 ans de l’Association des membres de l’inspection générale des finances (AMIF), Miriem Bensalah-Chaqroun a taclé le gouvernement Benkirane (dont le chef était présent dans la salle), le ministère de l'Economie et les finances, ainsi que ceux de l'Industrie, du Tourisme, de l'Education et de la Formation professionnelle...

Après quelques brèves formules de politesse, Miriem Bensalah-Chaqroun a vite lancé les hostilités: "votre inspection générale des finances fait partie des grands corps de l’Etat, un corps de pouvoir et de prestige, dont peut s’enorgueillir notre pays. Et d’ailleurs, vos collègues de la Direction des études et des prévisions financières (DEPF) viennent d’en faire la démonstration en publiant un rapport que la presse a qualifié de choc, sur les progrès que doit accomplir le Maroc en termes d’infrastructures socio-économiques et de services de base".

"Une note d'à peine 2/5"

Tout en remerciant le roi Mohammed VI d'avoir "apporté une vision économique et géopolitique de long terme qui confère au Maroc un rôle essentiel dans le devenir de l’émergence de l’Afrique mais aussi de sa coopération avec l’Europe", la présidente de la CGEM a estime qu'"il est temps aujourd’hui d’effectuer une "pause introspective" et de "retrouver le sens de l’avenir":

"Ainsi rappelons-nous des réformes structurelles des années 80 et de l’euphorie des années 90 où le Maroc était qualifié de dragon africain; de son intégration dans l’indice SFI des pays émergents, en 1997, ou encore de l’euphorie des années 2000 où l’on était persuadé d’avoir atteint un seuil de croissance économique durable. Dans la littérature très fournie sur le concepts de pays émergent, les définitions abondent autant que les justifications, mais l’on peut retenir quelques points de convergence. Être un pays émergent c’est réaliser un bon niveau de développement humain, disposer d’un marché intérieur en pleine expansion, ouvrir fortement l‘économie sur le commerce extérieur, atteindre un niveau relativement élevé d’industrialisation et d’exportation de produits industriels, avoir un fort taux de croissance du PIB. Sur ces 5 critères, communément partagés, notre note est à peine de 2/5", a fustigé Mme Bensalah.

"Nous sommes encore un pays en voie de développement"

"Nous avons certes une économie ouverte (peut-être même un peu trop) et un marché intérieur qui soutient la croissance. Pour le reste, les chiffres sont têtus. Alors qu’au cours de la période 2007-2011, le taux de croissance moyen annuel avait atteint 4,6%, il n’est que de 3,3% pour la période 2012 à 2016. En cinq ans donc, nous avons perdu 1.3 points de croissance; et le plus préoccupant est que ce ralentissement vient du PIB non agricole", a-t-elle continué.

"La part de l’industrie dans le PIB, malgré les résultats probants de certains métiers mondiaux du Maroc tels que l’automobile ou l’aéronautique, ne dépasse pas les 16% aujourd’hui. En matière de développement humain, nous sommes classés 126e sur 188 pays, soit dans la moitié inférieure du classement", a encore lancé la présidente de la CGEM.

"Nous sommes donc toujours en voie d’émergence, même si nos fondamentaux macro-économiques restent sains, et même si nos structures productives, notre système financier et nos infrastructures sont modernes. Nous sommes encore un pays en voie de développement. N’en soyons pas vexés... et cherchons la voie de l’excellence".

"Nous avons une compétitivité en pointillés"

Dans le viseur de Miriem Bensalah, le ministre de l'Industrie Moulay Hafid Elalamy,avec qui elle entretient des rapports parfois tendus. La présidente n'a pas hésité à critiquer sans le nommer le Plan d'accélération industrielle, ainsi que la stratégie mise en place par le département de l'Industrie pour attirer des investisseurs étrangers:

"Nous avons de belles réussites industrielles dans le domaine de l’automobile, de l’aéronautique, de l’électronique et de la chimie. Mais quel est leur poids dans le PIB? Nous avons une compétitivité en pointillés. Nous tentons aujourd’hui d’attirer des investissements étrangers avec l’argument que les salaires en Chine deviennent plus chers qu’au Maroc. Aucun pays à travers l’histoire de l’industrie n’a bâti une économie pérenne sur des bas salaires. En tous les cas, ça ne marche qu’un temps!"

Le ministère de l'Economie et des finances a lui aussi eu droit à sa pique: "10 sociétés assurent 25% des recettes de l’IS au Maroc et 75% des recettes de l’IR proviennent des salariés. Il y a donc une iniquité qui contribue à maintenir une pression fiscale élevée sur les bons élèves".

"Une main d'oeuvre peu qualifiée"

Et ce n'est pas tout. La présidente de la CGEM a aussi critiqué la politique marocaine en matière de formation: "La croissance ne sera pas non plus pérenne, si elle ne repose pas sur le capital humain qui prendra le relais. Nous avons de belles stratégies sectorielles mais quels sont les femmes et les hommes qui vont les mettre en musique demain? Les entreprises ont besoin de recruter, mais où sont les profils adéquats, qu’ils parlent arabe, français ou chinois? S’il est une priorité pour notre pays, c’est bien le chantier de l’éducation et de la formation. On le voit encore avec la prépondérance d’une main d’œuvre peu qualifiée au sein des entreprises et une insuffisance de l’innovation".

Comment interpréter cette sortie remarquée de la patronne des patrons? Selon une source proche de la CGEM, Miriem Bensalah-Chaqroun est une "adepte du rapport de force. Son 'logiciel' est fait de cette manière. Elle attaque très fort afin de se ménager un espace stratégique, et ensuite elle discute. Elle veut toujours se donner une marge de manœuvre et ne jamais apparaître en position de faiblesse".

Aucun commentaire: